Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/245

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


LE DROIT ET LE FAIT

Si l’on cherche un mot pour exprimer le caractère normal de l’activité morale, on le trouvera sans beaucoup de peine. La langue suggère aussitôt le mot bonté, ou plutôt elle l’impose, comme expression d’un sentiment populaire et pour ainsi dire universel. En effet, bonté se dit généralement de toute qualité positive, de toute excellence, tandis que la bonté comme caractère d’une personne signifie très précisément une disposition à servir les autres, à leur faire plaisir, à procurer leur avantage, ou ce que l’être bon croit leur avantage, suivant son expérience et ses lumières. En fait, nous rencontrons la bonté chez beaucoup de gens. Ceux qui ne la connaissent pas du tout sont des exceptions. Cette bonté, que nous aimons chez nos amis, s’y dégage imparfaitement d’un cortège de sentiments plus ou moins analogues à sa nature et avec lesquels il importe de ne la point confondre. Ainsi l’exercice de la bonté est accompagné d’un plaisir d’intensité variable, et il ne saurait en être autrement, car la satisfaction, le libre jeu d’une volonté quelconque, instinctive ou consciente, est un plaisir, et proprement nous ne concevons pas d’autre plaisir. Mais le plaisir de la bienfaisance, ou même de la bienveillance, n’est pas la bonté : celui qui réprime avec un douloureux effort son impulsion naturelle, afin d’obliger un être antipathique ou de rendre le bien pour le mal, n’est pas moins bon que celui qui oblige avec plaisir parce que son goût l’y porte ; il est meilleur, quoique sans doute il ne vaille pas celui qui mettrait son plaisir à bien faire en toute occurrence. — Nous favorisons naturellement ceux qui nous plaisent ; mais cette partialité, loin d’être essentielle à la bonté, la contredit expressément ; nous la voyons régner dans des âmes auxquelles la bonté reste étrangère, et quand elle s’associe à la réelle bonté, comme il arrive le plus souvent chez les bons de notre connaissance, elle altère cette vertu et la neutralise en quelque mesure. Opposer la justice et la bonté sous ce point de vue, c’est méconnaître absolument la bonté. — Loin de nuire à la