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CH. SECRÉTAN. — le droit et le fait


I

Le problème du mal.

Comment se fait-il que la bienviellance aille si sûrement jusqu’au sacrifice ? D’où vient que la justice véritable est si difficile à pratiquer ? D’où vient que si peu de gens saint Paul dit personne, et M. Taine nous semble partager l’avis de saint Paul d’où vient que nul peut-être n’observe sans de graves inconséquences la conduite qu’au fond du cœur il estime être la meilleure, et qu’enfin, comme nous en instruit M. Édouard de Hartmann, nous devons tenir tout Allemand pour un fripon jusqu’à la preuve du contraire ?

Pour qui reconnaît à la conscience morale une autorité, l’autorité qu’elle s’attribue elle-même, le problème du mal moral est parfaitement séparé de celui du mal dit physique, attendu que sans une certaine mesure de mal physique, de douleur, nous ne saurions nous figurer le déploiement du bien moral, dont l’importance est supérieure et d’un autre ordre, toujours au témoignage de la conscience. C’est donc exclusivement du mal moral que nous demandons l’origine. Nous voudrions trouver l’explication des dimensions qu’il a prises, et, pour cela, nous sommes obligés de remonter par la pensée à l’origine de la loi morale, question absolument différente à son tour de la question de son principe dont nous nous sommes récemment occupé. Quelle que soit la manière dont se produit en nous la connaissance de la loi morale, elle ne saurait rien ajouter à sa majesté souveraine et ne saurait rien en ôter.

La conscience repousse d’emblée, cela va sans dire, toutes les explications du fait qui tendraient à la dépouiller elle-même de son caractère absolument impératif. Avant d’instituer une telle recherche en sachnt ce que l’on fait, il faut donc au préalable s’être affranchi parfaitement de cette loi. C’est une observation fort simple, qu’en toute humilité nous soumettons aux phénoménistes épris des charmes de la psychologie. La loi morale n’est pas tombée du ciel comme un météore. Au point de vue phénoménal, on tient pour certain que l’humanité l’a produite et se l’est donnée, comme elle s’est donné l’outil, comme elle s’est donné la religion, comme elle s’est donné la parole. Il n’est donc point interdit, il serait fort intéressant au contraire de retrouver les étapes de cette marche ascensionnelle, et d’assister à l’élaboration de la conscience. Mais, sans la parole articulée, sans l’outil, sans la religion, sans la loi, l’humanité n’est pas