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l’humanité. D’ailleurs, ce qui importe plus qu’une affaire de mots, le développement du monde et de l’homme n’est pas l’effet d’un pur hasard ; le réel se dégage du possible, quoique le possible ne se réalise pas tout seul, comme s’il était possible que le possible subsistât jamais tout seul. Rien ne se produit dans l’humanité, pour devenir un élément essentiel, un attribut de l’humanité, qui ne fût contenu virtuellement dans l’animal, dans la cellule, dans la poussière atomique, dans le germe invisible de l’humanité. La science empirique en convient implicitement. Lorsqu’elle enseigne que tout ce qui arrive se produit en vertu de lois nécessaires, elle en dit là-dessus plus qu’il n’est besoin ; mais elle ne tient pas toujours compte, elle ne se rend : pas toujours exactement compte de ses propres aveux. La pure puissance est invisible, ou plutôt, prise isolément, elle n’est rien ; elle se rattache toujours à quelque existence actuelle, seule perceptible à nos sens ; elle échappe donc aux prises de la méthode expérimentale, mais l’affirmation de l’être en puissance est impliquée dans toutes les thèses de la science expérimentale. Ainsi l’analyse de la méthode expérimentale démontre par elle-même que l’expérience n’est pas en réalité la source unique de nos connaissances, quoiqu’il puisse fort bien arriver, et qu’il soit même hautement probable que toutes nos connaissances se produisent dans l’expérience, et sous la forme de l’expérience. La puissance, l’inévitable confession de l’être en puissance contient la condamnation du phénoménisme exclusif.

Ainsi l’impératif catégorique, comme l’outil, comme le langage, comme la religion, comme la prose et la poésie, comme toute culture et tout savoir, est en puissance dans l’homme en puissance, qui sous sa forme la plus récente et la plus approchée était probablement un mammifère omnivore. Dans ce sens, et dans ce sens seulement, il faut maintenir la doctrine des idées innées. Dans ce sens, la loi morale est réellement tombée du ciel. L’expérience est fort nécessaire ; la psychologie, même hypothétique, est admirable ; mais la logique est aussi quelque chose, ne l’oublions pas.

La connaissance de l’origine de la loi morale, de la manière dont s’est produite graduellement la conscience de la loi morale est donc inutile à l’établissement du principe moral, parce que, lorsque l’esprit est arrivé au point de rechercher la formule de ce principe, il sait déjà de science certaine que la morale est impérative et qu’elle interdit de mettre en question son autorité. Le commencement de la recherche est déterminé par l’impératif. En revanche, la représentation de cette origine et de ce développement graduel comme point de fait serait nécessaire pour entendre l’origine du mal moral, qui