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CH. SECRÉTAN. — le droit et le fait

est une pure question de fait. Malheureusement, celui qui écrit ne possède ni l’érudition anthropologique ni la vivacité d’imagination nécessaires pour entrer ici dans un détail utile au progrès de cette étude. Ce qui, d’une manière générale, lui semble évident, c’est que les penchants, les habitudes, les passions ont dû se former, se consolider, s’incorporer à nous par l’hérédité, avant que l’idée du devoir dans son universalité se fût dégagée, avant surtout que le contenu de la loi fût déchiffré ; de sorte qu’en arrivant à la réflexion l’homme se trouve avoir à compter avec des dispositions naturelles qui sont son ouvrage ou, si l’on veut, l’ouvrage de ses pères, mais un ouvrage entrepris et poussé fort loin antérieurement à la réflexion. Ainsi le mal moral s’expliquerait par la nécessité où l’homme se trouve d’agir avant de comprendre, nécessité incontestable, suivant l’ordre de la nature, puisque le savoir vient de l’expérience, et l’expérience, de l’action. L’universalité, la consolidation du mal s’expliqueraient par la solidarité des individus et des générations, solidarité qu’un coup d’œil sur les conditions de la vie nous fait paraître inévitable et dont nous reconnaissons la justice, j’entends l’accord complet avec l’ordre profond des choses, lorsque nous savons y voir une conséquence et une nouvelle démonstration de notre unité.

Mais, pareille en ce point à celle de Platon dans sa République, cette justice n’est proprement pas morale, et, malgré certaines apparences, notre siècle éprouve aussi vivement que jamais le besoin de mettre sa conception du monde en harmonie avec l’idéal moral vivant dans les cœurs. La physique ou la morale changeront jusqu’à ce que cet accord soit établi. Le problème du mal subsiste donc.

Nous ne saurions entendre un possible subsistant comme possible avant tout être, et donnant naissance à l’être ; le monde pourtant n’est formé que de possibilités qui se réalisent dans le temps ; le monde, en d’autres termes, a commencé ; aussi loin du moins que s’étendent notre expérience et le pouvoir de l’induction, chacun des morceaux dont il se compose a certainement commencé. La raison nous contraint donc à statuer un acte éternel d’où naissent les possibles. D’autre part nous ne saurions nous expliquer l’autorité que s’attribue sur nous la loi morale ; nous ne saurions justifier notre prétention étrange et constante de juger les autres d’après cette loi, qu’en lui reconnaissant une valeur universelle, une force propre. Mais une loi qui possède une existence propre, une force propre, c’est un esprit. Son autorité suprême atteste en nous l’esprit suprême. L’homme se dégage de l’animal dans la mesure où il réalise en lui la loi morale. Ainsi l’éthique et la physique confondent leurs cimes, la source de toute genèse est identique au principe de l’ordre moral, Dieu se démontre