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phénomènes dont il s’agit n’exigent pas, et par conséquent n’autorisent pas un appel à l’infini pour en rendre compte. Dans sa conception première cette philosophie de Berlin n’est pas sérieuse, quelque fascination qu’elle ait pu finir par exercer sur son auteur.

Mais, s’il n’est pas permis d’attribuer à l’impéritie de la cause première les imperfections que, suivant notre jugement, présente le monde, rien de plus naturel en revanche que de supposer qu’un esprit créé, c’est-à-dire posé comme un germe et appelé à se réaliser, à se constituer lui-même, à se donner sa propre nature, ait pu, dans l’aveuglement de son ignorance, s’égarer dès les premiers pas, — que les enfants aient marché dans la direction où s’étaient engagés les pères, que les habitudes contractées aient modifié la constitution et formé le naturel par hérédité. Cependant l’intelligence se développe, l’expérience du malheur fait réfléchir sur ses causes et conduit à les condamner. Ainsi la conscience, à son aurore, éclaire un péché déjà commis et constate une affection morbide, une aliénation de la volonté, sans y trouver de remède. L’erreur inséparable de la primitive ignorance, la contagion de l’exemple, la fatalité des réactions, l’hérédité suffisent amplement à l’explication du mal moral au point de vue de l’histoire naturelle, qui, sous une forme ou sous une autre, est réduite à concevoir l’humanité raisonnable comme se dégageant graduellement de l’animalité. Seulement, il faut bien l’avouer, dans cette représentation d’un mal absolument inévitable, le sens moral verra la négation du mal moral comme tel et de tout ordre moral avec lui. Pour obvier en quelque mesure à cet inconvénient, on posera en dogme, dirons-nous, que, au moment où la réflexion de l’homme naissant atteint le degré d’étendue et de fermeté nécessaire à la formation d’un jugement moral proprement dit, il possède encore la force d’exécuter le bien entrevu en réformant des pratiques ou des habitudes restées jusqu’à ce moment au-dessous et en dehors de toute appréciation morale. Dans l’hypothèse ainsi précisée, où le naturalisme n’entrera pas à la vérité sans un grand effort, on comprendrait bien encore comment les premières déterminations mauvaises ont déployé leurs funestes effets sur ceux qui n’avaient pas encore failli, comment, par l’action des causes indiquées plus haut, l’œuvre coupable de la liberté chez quelques-uns finit par créer la nécessité du mal en tous et pour tous.

Mais, si la première moitié de l’explication semble assez facile, il n’en est point de même de la seconde.

En vérité, la philosophie n’est rien moins, mais rien moins qu’un labeur commode ; on comprend fort bien que la foule en soit dégoûtée et la déserte. Si l’on pouvait s’en déprendre, on suivrait volontiers