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CH. SECRÉTAN. — le droit et le fait

l’exemple de la foule. Il n’est pas de système en effet où la dent ne rencontre quelque grain de sable, où l’on n’aperçoive quelque énormité, quelque contradiction, à tout le moins nombre d’affirmations gratuites. Force est bien de commencer par la pure affirmation, car qui veut tout prouver ne prouvera jamais rien, chacun l’entend. On essaie donc de mettre en avant quelque thèse assez évidente pour obtenir par elle-même un assentiment universel ; mais il ne s’en trouve pas de pareilles ; on conteste tout, on conteste la raison suffisante et la causalité ; on ne conteste pas moins les principes de contradiction et du tiers exclus.

Le positivisme traite comme un tout ce qu’il sait bien ne point former un tout. — Le phénoménisme porte écrite au front la contradiction qui le constitue. On l’a dit voici quelque temps : si l’être se confond avec le paraître, chacun possédant sa vérité particulière, il n’y a point d’erreur possible ; et néanmoins le phénoménisme passe sa vie à combattre l’erreur de la substance et quantité d’autres erreurs. — Le scepticisme, qui ne sait ni s’il sait ni s’il ignore, sait pourtant qu’il faut bouger et faire comme si l’on savait bien des choses, sous peine de mort. — Le criticisme a passé derrière sa propre raison pour en tracer exactement les limites. — Le dogmatisme se pique de posséder et de transmettre une représentation fidèle de ce que sont les choses indépendamment de toute représentation quelconque. — Le matérialiste, expliquant le connu par l’inconnu, se considère lui-même comme l’effet d’un de ses concepts, dont il affirme l’être. — L’idéaliste, qui sait à quoi s’en tenir là-dessus, ne peut pas entrer dans le détail de ses représentations sans leur prêter aussitôt une existence hors de lui-même à l’instar du matérialiste, — Le dualisme, nommé quelquefois par distraction spiritualisme, explique tout par le rapport entre deux objets de sa création, qu’il définit de manière à rendre tout rapport entre eux impossible. — Le panthéiste affirme l’être absolu, sans restriction d’aucune sorte, et m’explique la multiplicité phénoménale, ce qui est sa tâche et la nôtre, il ne se conçoit lui-même qu’en limitant cet absolu. — L’empirisme, qui est pétri d’esprit, en épuise toutes les ressources pour se démontrer qu’il n’existe pas : bref, il y a dans tout système un mauvais passage, un saut à risquer.

Nous ne nous flattons pas de faire exception à cette loi. Notre conception repose en effet sur deux thèses dont chacune, prise à part, a passablement bon air, quoique ni l’une ni l’autre ne soient prouvées, mais qui, par malheur, ne s’accordent pas sans quelque peine. L’une porte : « la science est possible » ; l’autre : « le devoir existe. » — La science est possible, donc il faut la faire, il faut tout analyser, tout