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CH. SECRÉTAN. — le droit et le fait

que du fait de l’homme et pour son usage, le problème n’aurait pas de lieu dans l’esprit ; mais tout en comprenant très bien que la notion du devoir, abstraction faite de son contenu, apparaît dans la conscience à la suite d’une évolution dont il appartient à la psychologie de noter les phases et de tracer le tableau, nous ne saurions attribuer au devoir une origine exclusivement psychologique et subjective sans nous ôter tout moyen d’expliquer l’autorité universelle que nous réclamons pour lui conformément à la conscience : d’où résulte manifestement la conséquence qu’une telle conception théorique des choses nous est interdite par le devoir. La nécessité logique de chercher dans l’être la racine et la source de tout ce qui commence et devient, la nécessité morale de placer dans l’éternel existant par soi l’origine de l’ordre moral pour comprendre l’autorité qu’il possède en droit sur ceux qui le méconnaissent et qui le nient aussi bien que sur ceux qui l’avouent, autorité que le devoir lui-même, il le faut répéter, nous défend intérieurement de mettre en question ; ces deux nécessités combinées entraînent notre loyauté philosophique au théisme : on vient le confesser malgré les efforts qu’on a dû tenter, étant un mortel comme un autre, pour accommoder ses opinions au goût du jour, ce qui aurait pu servir considérablement dans les affaires. Nous sommes donc resté théiste, et nous voyons se dresser devant nous le vieux problème de la théodicée[1].

Avant de l’aborder, qu’une dernière explication nous soit permise. En disant que nous cherchons en Dieu la source de la loi morale afin d’en concevoir l’autorité, nous nous exprimons en termes précis, qu’il faut prendre au sens le plus littéral, fût-il besoin de réfléchir un instant pour les bien comprendre. Nous n’avons pas voulu parler des sanctions de plaisir et de peine auxquelles la théologie vulgaire a recours pour fortifier l’autorité des lois. La question des peines et des récompenses n’est ici qu’accessoire, et sur ce point nous pouvons réserver notre opinion. La preuve de l’existence de Dieu par la loi morale subsisterait tout entière, lors même que pour conserver aux mobiles de l’action toute leur pureté, l’on n’admettrait d’autres sanctions de la loi que les sanctions intérieures : l’existence même de la loi comme fait mental, le remords qui en suit la violation consciente, enfin l’impossibilité d’un développement vraiment humain lorsqu’elle est méconnue. Dans notre esprit, le rôle de Dieu n’est donc pas tant de prêter main forte à la morale que de la constituer. Il s’agit, comme on l’a marqué, des conditions requises

  1. Nous prenons les mots théologie et théodicée dans leur sens original, et non dans le sens détourné, trop restreint pour le premier, trop large pour le second, qui leur a été imposé dans le milieu scolaire, par des considérations professionnelles dont l’objet n’existe plus.