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CH. SECRÉTAN. — le droit et le fait

fait une question de justice revient proprement à se demander si la solidarité que nous avons constatée dans tous les domaines est un accident contraire à notre nature essentielle, ou si, conforme à notre nature essentielle, elle n’exprime pas l’ordre universel. Eh bien, encore une fois, cette question est depuis longtemps résolue ; elle est résolue affirmativement par la morale. La loi morale, que vous entendrez se prononcer en vous, si vous prêtez l’oreille, ne veut pas que vous soyez sauvé tout seul ; elle accepte la solidarité, elle la réclame. Et, si la solidarité est juste en soi, ses conséquences inévitables ne sauraient être que justes. Le poids sous lequel nous fléchissons, la faiblesse, la perversité de la volonté que nous déplorons sont la faute même des parents que nous continuons, de nos premiers parents peut-être, faute qui ne diffère pas essentiellement dans ses effets des péchés commis par les générations suivantes, sinon dans ce sens que le premier rend le second plus facile, et ainsi de suite, par une inévitable accumulation ! Ce qui semble un contrecoup fatal de l’un sur l’autre n’est au fond qu’une même action se continuant dans le même sujet.

Il faut en dire autant du relèvement, qui sera collectif s’il a lieu, bien qu’il résulte des efforts individuels, mais qui néanmoins, puisqu’il se produit dans un organisme, doit naturellement trouver un centre.

La question principale semble résolue, puisque, sans admirer tout, ce qui se passe ni tout ce que nous faisons nous-mêmes, nous pouvons désormais accepter franchement, complètement, l’ordre du monde. L’unité du monde, le respect du créateur pour son ouvrage expliquent tout à la raison, nous voulons dire à l’espérance.

En résumé, le droit et le fait sont conciliés ; la justice du créateur est pleinement manifestée dans son ouvrage, pour qui comprend à quel sujet une telle justice peut s’appliquer. L’objet de la justice doit être un but pour lui-même. Le seul être compris dans le champ de l’expérience auquel cette détermination appartienne, c’est l’humanité. Eh bien, la condition de l’humanité est parfaitement conforme à la justice, attendu qu’elle est son propre ouvrage. La notion de justice s’obscurcit en revanche et s’évanouit à nos regards lorsqu’on essaie de l’appliquer aux destinées individuelles ; mais, dans l’ordre général du monde, l’individu n’est pas un but. Ii a droit à la justice de la part de ses semblables, mais il n’a pas de compte à demander à Dieu. Dieu ne compte pas avec l’individu ; mais il fait mieux, il lui accorde la faveur de pouvoir se rendre utile. Quand la pratique assidue de cette loi, qui constitue l’intime fond de notre nature, nous