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appelées les Alpes ou les Andes, etc. Quand ils nous apprennent ces faits capitaux d’où se déduit tout le reste, l’astronome, le chimiste, le physicien, le naturaliste, le géographe font-ils œuvre de savants proprement dits ? Non, ils font un simple constat et ne diffèrent en rien du chroniqueur qui relate l’expédition d’Alexandre ou la découverte de l’imprimerie. S’il y a une différence, nous le verrons, elle est toute à l’avantage de l’historien. Que savons-nous donc au sens savant du mot ? On répondra sans doute : Les causes et les fins ; et, quand nous sommes parvenus à voir que deux faits différents sont produits l’un par l’autre ou collaborent à un même but, nous appelons cela les avoir expliqués. Pourtant, supposons un monde où rien ne se ressemble, ni ne se répète, hypothèse étrange, mais intelligible à la rigueur ; un monde tout d’imprévu et de nouveauté, où, sans nulle mémoire en quelque sorte, l’imagination créatrice se donne carrière, où les mouvements des astres soient sans période, les agitations de l’éther sans rythme vibratoire, les générations successives sans caractères communs et sans type héréditaire. Rien n’empêche de supposer malgré cela que chaque apparition dans cette fantasmagorie soit produite et déterminée même par une autre, qu’elle travaille même à en amener une autre. Il pourrait y avoir des causes et des fins encore. Mais y aurait-il lieu à une science quelconque dans ce monde-là ? Non ; et pourquoi ? Parce que, encore une fois, il n’y aurait ni similitudes ni répétitions.

C’est là l’essentiel. Connaître les causes, cela permet de prévoir parfois ; mais connaître les ressemblances, cela permet de nombrer et de mesurer toujours, et la science, avant tout, vit de nombre et de mesure. Du reste, essentiel ne signifie pas suffisant. Une fois son champ de similitudes et de répétitions propres trouvé, une science nouvelle doit les comparer entre elles et observer le lien de solidarité qui unit leurs variations concomitantes. Mais, à vrai dire, l’esprit ne comprend bien, n’admet à titre définitif le lien de cause à effet, qu’autant que l’effet ressemble à la cause, répète la cause, quand, par exemple, une ondulation sonore engendre une autre ondulation sonore, ou une cellule une autre cellule pareille. Rien de plus mystérieux, dira-t-on, que ces reproductions-là. C’est vrai ; mais, ce mystère accepté, rien de plus clair que de telles séries. Et chaque fois que produire ne signifie point se reproduire, tout devient ténèbres pour nous sans nulle clarté[1].

  1. « Le connaissance scientifique ne doit pas nécessairement partir des plus plus petites choses hypothétiques et inconnues. Elle trouve son commencement partout où la matière a formé des unités d’ordre semblable, qui peuvent se comparer entre elles et se mesurer les unes par les autres ; partout où ces