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G. TARDE. — la nature et l’histoire

Quand les choses semblables sont les parties d’un même tout ou jugées telles, comme les molécules d’un même volume d’hydrogène ou les cellules ligneuses d’un même arbre, ou les soldats d’un même régiment, la similitude prend le nom de quantité et non simplement de groupe. Quand les choses qui se répètent demeurent annexées les unes aux autres en se multipliant, comme les vibrations calorifiques ou électriques qui, en s’accumulant dans l’intérieur d’un corps, l’échauffent ou l’électrisent de plus en plus, ou comme les formations de cellules similaires qui se multiplient dans le corps d’un enfanc en train de grandir, ou comme les adhésions à une même religion par la conversion des infidèles, la répétition alors s’appelle accroissement et non simplement série. En tout ceci, je ne vois rien qui singularise l’objet de la science sociale.

Intérieures ou extérieures d’ailleurs, quantités ou groupes, accroissements ou séries, les similitudes, les répétitions phénoménales sont les thèmes nécessaires des différences et des variations universelles, les canevas de ces broderies, les mesures de cette musique. Le monde fantasmagorique que je supposais tout à l’heure serait, au fond, le moins richement différencié des mondes possibles. Combien dans nos sociétés le travail, accumulation d’actions calquées les unes sur les autres, n’est-il pas plus rénovateur que les révolutions ! Et qu’y a-t-il de plus monotone que la vieémancipée du sauvage comparée à la vie assujettie de l’homme civilisé ? Sans l’hérédité, y aurait-il un progrès organique possible ? Sans la périodicité des mouvements célestes, sans le rytnme ondulatoire des mouvements terrestres, l’exubérante variété des âges géologiques et des créations vivantes aurait-elle éclaté ?

Mais, à l’inverse aussi, il est vrai de dire que toute répétition, sociale, organique ou physique, n’importe, c’est-à-dire imitative, héréditaire ou vibratoire(pour nous attacher uniquement aux formes les plus frappantes et les plus typiques de la Répétition universelle), procède d’une innovation, comme toute lumière procède d’un foyer, et qu’ainsi le normal, en tout ordre de connaissance, parait dériver de l’accidentel. Car, autant la propagation d’une force attractive ou d’une vibration lumineuse à partir d’un astre, ou celle d’une race animale à partir d’un premier couple, ou celle d’une idée, d’un besoin, d’un rite religieux, dans toute une nation à partir d’un savant, d’un inventeur, d’un missionnaire, sont à nos yeux des phénomènes naturels et

    unités se réunissent en unités composées d’ordre plus élevé, fournissant elles-mêmes la mesure de comparaison de ces dernières. » (Von Nægeli, Discours au congrès des natural. allem. en 1877.)