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régulièrement ordonnés, autant l’ordre informulable dans lequel ont apparu ou se sont juxtaposés les foyers de tous ces rayonnements, par exemple, les diverses industries, religions, institutions sociales, les divers types organiques, les diverses substances chimiques ou masses célestes, nous surprend toujours par son étrangeté. Toutes ces belles uniformités ou ces belles séries, — l’hydrogène identique à lui-même dans l’infinie multitude de ses atomes dispersés parmi tous les astres du ciel, ou l’expansion de la lumière d’une étoile dans l’immensité de l’espace ; le protoplasme identique à lui-même d’un bout à l’autre de l’échelle vivante, ou la suite invariable d’incalculables générations d’espèces marines depuis les temps géologiques ; les racines verbales des langues indo-européennes identiques dans presque toute l’humanité civilisée, ou la transmission remarquablement fidèle de la langue cophte des anciens Égyptiens à nous, etc., — toutes ces foules innombrables de choses Semblables et semblablement liées, dont nous admirons la coexistence ou la succession également harmonieuses, se rattachent à des accidents physiques biologiques, sociaux dont Le lien nous déroute. Encore ici, l’analogie se poursuit entre les faits sociaux, et les autres phénomènes de la nature. Si cependant les premiers, considérés à travers les historiens et même les sociologistes, nous font l’objet d’un chaos, tandis que les autres, envisagés à travers les physiciens, les chimistes, les physiologistes, laissent l’impression de mondes fort bien rangés, il n’y a pas à en être surpris. Ces derniers savants ne nous montrent l’objet de leur science que par le côté des similitudes et des répétitions qui lui sont propres, reléguant dans une ombre prudente le côté des hétérogénéités et des transformations (ou transsubstantiations) correspondantes. Les historiens et les sociologistes, à l’inverse, jettent un voile sur la face monotone et réglée des faits sociaux, sur les faits sociaux en tant qu’ils se ressemblent et se répètent, et ne présentent à nos yeux que leur aspect accidenté et intéressant, renouvelé et diversifié à l’infini. S’il s’agit des Gallo-Romains, l’historien même philosophe n’aura point l’idée, immédiatement après la conquête de César, de nous promener pas à pas dans toute la Gaule pour nous montrer chaque mot latin, chaque rite romain, chaque commandement, chaque mouvement, chaque manœuvre militaires, à l’usage des légions romaines, chaque métier, chaque usage, chaque vice, chaque loi, chaque idée spéciale enfin et chaque besoin spécial importés de Rome, en train de rayonner progressivement des Pyrénées au Rhin et de gagner successivement toutes les bouches, tous les bras, tous les cœurs et tous les esprits gaulois, copistes enthousiastes de César et de Rome. Certainement, s’il nous fait faire