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Ce n’est point ici le lieu de développer les analogies frappantes, les différences non moins instructives et les relations mutuelles que présentent les trois principales formes de la répétition universelle. Nous n’avons point non plus à chercher la raison de ces rythmes grandioses échelonnés et entrelacés, à nous demander si la matière de ces formes leur ressemble ou non, si le dessous actif et substantiel de ces phénomènes bien ordonnés participe à leur sage uniformité, ou s’il ne contrasterait pas avec eux peut-être par son hétérogénéité essentielle, tel qu’un peuple où rien n’apparaît, à sa surface administrative et militaire, des originalités tumultueuses qui le constituent et qui font aller cette machine.

Ce double sujet serait trop vaste. Toutefois, sur le premier point, il est des analogies manifestes que nous devons signaler. Et d’abord, comme toute ondulation physique, comme toute espèce vivante, une idée, un mot, une découverte quelconque, jugée utile à quelque degré (utile à satisfaire le besoin qu’elle-même a éveillé ou spécifié), tend à se propager dans le public suivant une progression géométrique jusqu’à ce qu’elle ait atteint les bornes de son domaine propre. Cette tendance, ici comme là, avorte le plus souvent par suite de la concurrence des tendances rivales, ce qui importe peu en théorie. En outre, elle est métaphorique ; pas plus à l’onde et à l’espèce qu’à l’idée, on ne saurait attribuer un désir propre, et il faut entendre par là que les forces éparses, individuelles, inhérentes aux innombrables êtres dont se compose le milieu où ces formes se propagent, se sont donné une direction commune. Ainsi entendue, cette tendance suppose que le milieu en question est homogène, condition que le milieu éthéré ou aérien de l’onde parait réaliser dans une bonne mesure, le milieu géographique et chimique de l’espèce beaucoup moins, et le milieu social de l’idée à un degré infiniment plus faible encore. Mais on a tort, je crois, d’exprimer cette différence en disant que le milieu social est plus complexe que les autres. C’est au contraire peut-être parce qu’il est numériquement bien plus simple, qu’il est bien plus éloigné de présenter l’homogénéité requise, car une homogénéité superficiellement réelle suffit. Aussi, à mesure que les agglomérations humaines s’étendent, la diffusion des idées suivant une progression géométrique régulière, est-elle plus marquée. Poussons à bout cette augmentation numérique, supposons que la sphère sociale où une idée peut se répandre est composée non seulement d’un groupe assez nombreux pour faire éclore les principales variétés morales de l’espèce humaine, mais encore de collections complètes de ce genre répétées uniformément des milliers de fois, en sorte que l’uniformité de ces répétitions rende le tout homogène