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à des passions qui ont commencé à être factices aussi, importées et adoptées, mais qui sont beaucoup plus anciennes) ; d’autre part, la plupart des guerres politiques extérieures ; — 3o d’une part, le désespoir amer d’un peuple ou d’une classe qui rentre par degrés dans le néant historique, d’où un élan d’enthousiasme et de foi l’avait fait sortir, ou bien la gêne et l’oppression pénible d’une société dont les vieilles maximes traditionnelles, chrétiennes et chevaleresques, jurent avec ses aspirations nouvelles, laborieuses et utilitaires ; d’autre part, les oppositions proprement dites, les luttes des conservateurs et des révolutionnaires, et les guerres civiles.

Or, qu’il s’agisse des individus ou des peuples, ces étais douloureux, scepticisme, inertie, désespoir, et encore mieux ces états violents, disputes, combats, oppositions, pressent vivement l’homme de les franchir. Mais, comme les derniers, quoique plus pénibles, sont, jusqu’à un certain point et momentanément, des gains de foi et de désir, ce sont précisément ceux-là qu’il ne franchit jamais ou dont il ne sort que pour y rentrer aussitôt, tandis que, bien souvent, et pour de longues périodes, il parvient à se délivrer des premiers, qui sont des affaiblissements immédiats de ses deux forces maîtresses. — De là ces interminables dissidences, rivalités, contrariétés, entre hommes dont chacun s’est mis finalement d’accord avec lui-même par l’adoption d’un système logique d’idées et d’une conduite conséquente. De là l’impossibilité ou la presque impossibilité, ce semble, d’extirper la guerre et les procès dont tout le monde souffre, quoique la bataille interne des désirs ou des opinions, dont quelques-uns souffrent, aboutisse le plus souvent en eux à des traités de paix définitifs. De là la renaissance infinie de cette hydre aux cent têtes, de cette éternelle question sociale, qui n’est pas propre à notre époque, mais à tous les temps, car elle ne consiste pas à se demander comment se termineront les états débilitants, mais comment se termineront les états violents. En d’autres termes, elle ne consiste pas à se demander : De la science ou de la religion, laquelle l’emportera et doit l’emporter dans la grande majorité des esprits ? Est-ce le besoin de discipline sociale ou les élans d’envie, d’orgueil et de haine en révolte qui prévaudront et doivent prévaloir finalement dans les cœurs ? Est-ce par une résignation courageuse, active, et une abdication de leurs prétentions passées, ou au contraire par une nouvelle explosion d’espérance et de foi dans le succès, que les classes anciennement dirigeantes sortiront à leur honneur de leur torpeur actuelle ? Et la nouvelle société refondra-t-elle légitimement la morale et le point d’honneur à son effigie, ou la vieille morale aura-t-elle la force et le droit de refrapper la société ? Problèmes qui assurément ne tar-