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surtout parmi les philosophes, sur la manière dont se forme en nous la notion de l’espace, et sur la raison pour laquelle nous le mesurons par trois dimensions : hauteur, longueur, largeur. M. Helmholtz soutient qu’on peut concevoir des êtres hypothétiques occupant un espace de deux dimensions, et construits de telle sorte que, pour eux, les axiomes de notre géométrie seraient faux. Pour d’autres êtres hypothétiques, qui mesureraient l’espace par quatre dimensions, ou plus, ces mêmes axiomes seraient non moins faux. On a même imaginé une géométrie à quatre dimensions, et un hyperespace. Il faut bien avouer que les arguments en faveur de l’espace transcendantal prêtent souvent à la critique ; et je ne suppose pas que M. Zöllner[1] arrive à convaincre bien des opposants, en faisant, ou croyant faire, des nœuds à une corde déjà nouée aux deux bouts[2]. Il semble en tout cas que l’espace transcendantal ne puisse être exprimé, ni même conçu clairement, et Gauss lui-même, paraît-il, n’espérait pour cela qu’en la vie future, dont un des grands bonheurs devait être, pour lui, l’extension de ses conceptions de l’espace[3].

Bien que je ne puisse insister ici sur ce sujet si controversé, on comprend que M. Gyon ait pu croire que la notion de l’espace par trois dimensions nous est imposée par la nature de nos sens, et qu’il ait cherché quel est l’organe susceptible de nous donner cette notion. Qu’il se soit adressé pour cela aux canaux semi-circulaires, rien que de très naturel, étant donnée leur disposition remarquable. Toutefois, en disant (p. 95) : « Nous pouvons très-bien nous représenter que l’excitation des terminaisons nerveuses d’un canal membraneux produit des sensations d’étendue (Empfindung einer raumlichen Ausdehnung) dans un plan perpendiculaire aux plans des deux autres canaux, » il est tombé, d’après M. Ribot[4], « dans le défaut presque inévitable déjà signalé par Lotze, et’qui consiste, pour expliquer l’espace, à employer des éléments qui impliquent déjà cette notion. » « Il faut toujours garder en vue, écrit M. Cyon (p. 94), que les sensations ne sont pour notre intelligence que des signes distincts, à l’aide desquels nous formons nos représentations. » Mais « si les sensations ne sont que des signes, répond avec raison M. Ribot, quelle nécessité, et même quelle utilité, y a-t-il à ce que la

  1. Fried. Zöllner, Wissenschaftliche Abhandlungen von Joh. Carl, Professor der Astrophysic an der Universität zu Leipsig, 1er vol., 1878 (8o, 782 pages).
  2. Il ne faudrait point toutefois juger de son travail uniquement par l’article publié dans le journal La Nature (1879, 1er semestre, p. 301) sous le titre : Cordes spirites et science allemande. On y traduit êtres tri-dimensionnels (c’est à-dire êtres mesurant l’espace par trois dimensions) par trois êtres dimensionnels ( ?), etc., etc., Traduttore, traditore.
  3. G-F. Rodwell, On Space of four dimensions (Nature, 1er mai 1873).
  4. Revue philosophique, 1878, p. 658.