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C. VIGUIER. — le sens de l’orientation

structure anatomique de l’organe nous offre comme une image de la notion à expliquer ? »

Quant à moi, je considère, avec M. Lewes[1], que notre notion d’espace est une notion à posteriori, qui dérive des sensations éprouvées, pendant toute l’évolution de la série ancestrale à l’aide de la vue, du toucher et du mouvement. Cette notion ne serait donc point liée à un organe de forme déterminée, comme les canaux semi-circulaires, qui n’existent que chez un nombre fort limité d’animaux ; tandis que la notion d’espace paraît commune à tous les animaux, même les plus inférieurs. Que M. Cyon admette que, chez les Vertébrés inférieurs où le limaçon n’existe pas, l’organe appelé auditif ne sert que comme organe d’orientation dans l’espace, il est conséquent avec sa théorie ; mais, si cet appareil de canaux est nécessaire, comment peut-il conclure que, chez les Invertébrés, les organes dits de l’ouïe ne sont que des organes du sens de l’espace, ou tout au moins des organes d’orientation (p. 101). M. Bastian ne paraît pas non plus s’être arrêté à cette contradiction[2]  ; et cela montre que, s’il a songé à une relation possible entre le sens de direction et le sens de l’espace, quels que fussent les organes de celui-ci, il n’a point pensé faire dépendre directement le sens de direction des canaux semi-circulaires. Je tiens à bien établir cette distinction. La contradiction disparaît par mon interprétation ; puisque, suivant moi, le sens magnétique ne serait développé que chez les Vertébrés ; tandis que la notion d’espace serait commune à tous les animaux. L’hydre observée par Van Beneden sut fort bien, après avoir laissé tomber sa proie, explorer méthodiquement le terrain autour d’elle pour la retrouver ; et ce ne furent pas de simples mouvements au hasard qui ramenèrent ses bras sur l’objet perdu. Ainsi que M. Delbœuf, qui rappelle cette intéressante observation[3], j’estime que « l’idée l’espace est propre à tout être doué de motilité[4]. » Il ne s’ensuit pas que, chez les animaux pourvus de canaux semi-circulaires, un certain nombre des impressions qui concourent à former la notion de l’espace ne vienne point par ces organes. De ce que les aveugles de naissance peuvent se former cette notion, on ne saurait conclure que les sensations visuelles n’ÿ concourent point chez ceux qui peuvent les éprouver. Je diffère donc principalement de M. Cyon, comme de M. Brown, sans être en contradiction absolue avec aucun

  1. Nature, 10 avril 1873.
  2. Ch. Bastian, Le cerveau et la pensée, 1er vol., p. 169.
  3. Revue philosophique, IV, 4877, p. 182.
  4. Je ne range évidemment point ici les végétaux qui présentent des mouvements de réaction (mimosa, etc.).