Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
317
ANALYSES. — SCHULTZE. Philosophie d. Naturwissenschaft.

former de jeunes générations d’hommes forts, elle ne s’adresse qu’à quelques esprits solitaires, toujours en profond désaccord avec les idées et les sentiments de leurs contemporains. Quel plus détestable pédagogue qu’un philosophe ! M. Fritz Schultze n’y a pas songé : la perte de la société serait certaine du jour où les philosophes se mêleraient de ses affaires. Et ce serait grand dommage, en vérité, on y perdrait un sujet d’étude qui ne laisse pas de distraire quelquefois des graves pensers de la métaphysique.

L’auteur de cette Philosophie der Naturwissenschaft a voulu présenter : 1o l’histoire, 2o la critique, 3o les résultats des principaux essais d’explication de la nature et de l’esprit, qui sont proprement toute la philosophie. L’histoire et la critique de ces problèmes forment l’introduction philosophique aux sciences mathématiques et expérimentales. Avant tout, il s’agissait d’étudier sous toutes ses faces le problème de la connaissance, de faire une anatomie exacte de la structure intime de l’intelligence, de sa morphologie, de son embryologie. Point d’étude plus communément négligée. Des philosophes éminents, en France, se piquent même d’ignorer les résultats de la critique. Ils raisonnent sans s’être rendu compte de la nature et de la portée de la raison. Voilà qui explique comment, un siècle après la Critique de la raison pure (1781), la théologie, la métaphysique et la psychologie rationnelles inspirent encore de gros livres où l’on discute gravement sur l’existence et les attributs de Dieu, sur la providence et les causes finales, sur la simplicité et l’immortalité de l’âme. Le mal n’est certes pas qu’on discute, qu’on agite ces éternelles questions, qui après tout en valent bien d’autres, et qui nous tiennent si fort à cœur. Le mal, car toute illusion est un erreur, c’est qu’on soit peut-être trop souvent tenté d’oublier que ces questions sont de leur nature insolubles, qu’elles sont objet de foi, non de science.

Toute la partie historique de ce livre nous paraît fort bien traitée, et, ce qui est rare en pareilles matières, avec une piquante originalité. Les faits purement historiques sont naturellement empruntés aux grandes histoires de la philosophie d’Édouard Zeller, d’Erdmann et de Kuno Fischer. Mais ce qui est propre à l’auteur, et cela dans une plus grande mesure que ce n’avait été le cas jusqu’ici, ce sont les comparaisons si fécondes qu’il institue entre les divers états par lesquels ont passé au cours des siècles les principaux problèmes de philosophie naturelle. Grâce à cette méthode historique de critique comparative, on constate : 1o quelle distance sépare les idées anciennes des idées modernes ; 2o la supériorité, quand c’est le cas, de ces idées modernes sur celles de l’antiquité ; 3o lorsque c’est le contraire, les vices de nos doctrines comparées à celles des Hellènes ; 4o et enfin combien de théories sur la nature réputées neuves se trouvaient, au moins en germe, dans les écoles philosophiques du passé, Cette méthode vraiment historique de montrer les progrès de l’esprit humain est une heureuse application du principe de continuité. Familière aux esprits synthétiques qui em-