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brassent sous le regard en quelque sorte les principales phases de ce développement, elle est encore presque inconnue des savants’sans érudition historique. Ces savants à courte vue ne se doutent guère que les sciences nouvelles qu’ils croient apporter au monde pour la première fois ne sont souvent que des survivances d’anciennes idées, dont l’origine plonge bien au delà de notre vue dans le passé de l’humanité, et qui reviennent périodiquement, toujours les mêmes au fond, sous des formes nouvelles, bientôt caduques et périssables.

Je signalerai surtout à ce sujet le premier chapitre da livre intitulé : Du rapport de la philosophie de la nature chez les Grecs avec les sciences naturelles des modernes, chapitre qui m’avait déjà frappé lorsqu’il parut, il y a quelques mois, dans le Kosmos allemand. L’auteur y établit que, dès le septième siècle avant notre ère, « la pierre angulaire de nos sciences naturelles avait déjà été posée. » Ge qui l’a poussé à esquisser à son tour l’histoire des idées de ces vieux philosophes, ce n’est pas un vain plaisir d’érudit : il a voulu montrer qu’aussi dans le domaine de la psychologie et de la théorie de la connaissance se vérifie, à travers les âges, cette grande loi de biogenèse appelée, par Hæckel, phylogénétique. Une des plus anciennes conceptions de la nature, sinon la plus ancienne, celle pour qui toute la nature « st vivante, animée, douée de vie, de sentiment, de pensée et de volonté, c’est l’hylozoïsme. Mais quelle est la matière première du sujet qui persiste sous toutes les transformations des choses, l’étoffe dont est fait le voile mystérieux de la nature ?

Voilà bien la question qu’ont cherché à résoudre les physiologues ioniens, et je ne le rappelle que pour donner un exemple de la méthode de M. Fritz Schultze. Tout est de l’eau ou de l’air à différents états de condensation ou de raréfaction, répondirent ces vieux Hellènes ; bref ils ne virent d’abord dans le monde que différents états d’agrégation d’un même élément, d’une seule et même matière. C’est encore, dit l’auteur, l’hypothèse fondamentele de la physique et la chimie modernes : à ces physiologues revient l’honneur de lavoir introduite les premiers dans l’esprit humain. Mais, si toute la nature ne forme qu’un être unique, aucun abîme ne sépare les êtres vivants de ceux qui ne paraissent pas vivre ; l’organique peut sortir progressivement, par une évolution naturelle, de l’inorganique : c’est précisément le postulat de la théorie moderne de l’évolution. Anaximandre enseigne que tous les êtres vivants sont nés dans les eaux, sous l’influence de la chaleur solaire, et que, de pisciformes qu’ils étaient d’abord, y compris l’homme, ils se sont peu à peu transformés au point de ressembler à nos reptiles, à nos oiseaux et à nos quadrupèdes actuels, en « montant sur la terre ferme », abandonnée par les eaux, et en s’adaptant aux nouvelles conditions de ce milieu. Ce même Anaximandre, que fait sortir la terre d’un état primitivement fluide, fait encore naître d’innombrables univers stellaires de la condensation d’une matière première, en quoi il est bien un précurseur