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A. ESPINAS. — études sociologiques en france

physiologique, le mystère est repoussé par des philosophes. Le moi, déclare M. Fouillée, peut être une simple apparence, semblable à ces images que le jeu de certains miroirs projette en un foyer, un simple spectre comme celui qu’on fait apparaître sur un théâtre, l’effet en un mot d’une fantasmagorie naturelle et pratiquement équivalente à la réalité substantielle. Et quand nous disons que la substance incommunicable de l’individu humain est « sa structure organique elle-même, » c’est-à-dire les éléments anatomiques, plus ou moins sentants, qui le composent, avec leur tonalité propre, leur mode spécial de consonnance, leurs tendances héréditaires et acquises, toutes choses en effet qui ne peuvent être objet d’échange d’un individu à l’autre, M. Fouillée souscrit à notre manière de voir qui n’est, en fin de compte que celle de Spinoza interprétée en langage moderne[1].

Et il insiste pour que nous reconnaissions (nous croyons l’avoir fait pleinement) que la conscience collective, au lieu d’anéantir les consciences partielles qui se fondent en elle, les suppose et s’accroît par leur distinction même, bref qu’il y a harmonie et non antagonisme entre les éléments et la totalité du moi. Pour être vide de réalités transcendantes, le moi n’est point une forme vide, il est plein des éléments idéaux et par suite organiques qui le composent ; son individualité est d’autant plus haute que celle de ses éléments et de leurs groupes est plus relevée. Bref, il est un organisme, et, comme dans tout organisme, le consensus total y est en raison directe de la dfférenciation et par suite de l’interdépendance des parties[2].

La conscience est donc pour M. Fouillée « un mirage ». Mais en même temps il tient comme nous[3] ce mirage pour suffisant à fonder, dans la limite où cela est nécessaire, l’unité concrète du moi. Son naturalisme est doublé d’idéalisme. « Le moi, dit-il avec force, se fait en se pensant… Le moi est tout ensemble idée et fait. Nous ne prétendons pas que le moi soit une « âme, » un atome psychique, un être spirituel ; nous nous bornons à la vérité positive et expérimentale, en disant qu’il est une idée dominatrice et un fait dominateur. » Cette idée étant la plus utile à l’être vivant pour sa conservation et son développement, la sélection s’en empare et, de génération en génération, la fortifie. « Libre au métaphysicien, ajoute l’auteur, de croire qu’elle est aussi en nous la réalité des réa-

  1. P. 234.
  2. Pages 117, 243.
  3. Sociétés animales, pp. 535-540.