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lités, d’autant que tout le reste n’est connu que par elle et ne se réalise pour nous qu’en elle. » Il n’est même pas besoin de dépasser le domaine des faits pour s’élever à cette généralisation ; il est certain que si nous sommes, et si quelque chose est pour nous, si même quelque chose à jamais existé dans le monde, ç’a été grâce à la conscience, ou du moins à la pensée toujours plus ou moins consciente ; et nous sommes disposé à voir en elle la réalité suprême, source de toutes les autres, pourvu que l’on reconnaisse (et M. Fouillée le ferait volontiers) due nulle conscience n’est possible sans un objet, nulle pensée sans un substratum organique, nulle représentation sans un groupe de sensations dont elle soit l’écho. Nous ne croyons pas que cela soit de la métaphysique, et, si cela en est, on ne voit pas tout d’abord pourquoi M. Fouillée nous reprocherait de l’avoir admis, puisqu’il se montre lui-même très disposé à l’admettre,

C’est que nous l’appliquons à la société, et dès lors M. Fouillée s’inscrit en faux contre notre doctrine. « Personnifier le lien social, parler de la société comme d’une personne dont on écrit le nom avec une lettre majuscule et qu’on oppose à l’individu comme une sorte de divinité, n’est-ce pas faire de la mythologie ou, si l’on veut, de la métaphysique, à la manière du moyen âge ? » (p. 25.)

Il y a quelque chose de bien plus fort que d’écrire le nom d’une société ou d’une nation avec une majuscule, ce que font tous les Européens. C’est de lui donner sa vie. Ce n’est pas de la mythologie, cela. Mais bien des cultes erronés ont eu leurs adorateurs et même leurs fanatiques ; entrons dans le détail des arguments de M. Fouillée, et examinons avec lui la question d’un point de vue strictement scientifique.

Il commence par accorder que la société est un organisme. Là-dessus, ses concessions sont aussi larges que possible. Il prend même la thèse à son compte et la confirme d’arguments nouveaux ; les chapitres intitulés « Preuves physiologiques et psychologiques de l’organisme social » sont les morceaux les plus convaincants que l’on ait écrit en sa faveur. Quand après cela il conteste l’individualité du corps social comme conscience, on trouvera peut-être qu’il nous accorde trop ou trop peu. M. Marion fait de même. Dans son livre sur la Solidarité morale, qui est l’œuvre d’un si fin moraliste, nous lisons (p. 51) : « Une société n’est pas simplement une somme d’individus juxtaposés ; c’est un être nouveau, un vrai tout, individuel à son tour et à sa manière ; c’est un corps vivant. Une société se comporte en tant que corps autrement que ses membres isolés. » Quand un peu plus loin (p. 154) nous l’entendons appeler la société