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A. ESPINAS. — études sociologiques en france

exagère l’impénétrabilité des consciences et qu’en général la notion même d’impénétrabilité est toute relative, puisque la communication mutuelle et l’action réciproque font la vie même de l’univers, » maintient cependant « que dans l’union même des consciences humaines la pluralité persiste » et que « l’unité sans la pluralité et la pluralité sans l’unité sont également des notions incomplètes, des abstractions logiques dont la réalité se joue » (p. 231). Comme M. Janet, il soutient que « c’est métaphoriquement et non au sens propre que les représentations et impulsions sont communicables ». Les moi restent toujours distincts du nous. Pourquoi ? C’est que, comme nous en sommes tombé d’accora avec lui, les moi sont attachés à un organisme propre, à une structure cérébrale intransmissible.

Sous ce rapport, M. Fouillée a pleinement raison. Mais nous croyons avoir insisté autant qu’il était possible de le faire sur ces vérités. Nous n’avons jamais manqué une occasion de soutenir que l’individualité du tout, loin d’exclure celle des parties, était en raison directe de leur distinction, et que des zéros de conscience ne peuvent produire une totalité de conscience. Nous repoussons de toutes nos forces les tendances socialistes qu’on nous a attribuées et qui aboutiraient à élever l’individualité sociale sur les ruines des individualités partielles. Mais nous croyons aussi que la réalité de celles-ci n’exclut pas la réalité de celle-là, et voici comment nous croyons cet accord possible.

Il faut distinguer entre la conscience de soi en tant que telle, dans son opposition avec les consciences d’autrui, et la connaissance ou la pensée. La conscience de soi n’est en fait que la connaissance d’un objet déterminé, à savoir le corps de chacun de nous. Cette connaissance est tellement limitée à cet objet spécial, à savoir le consensus organique, qu’on a fait ressortir avec raison son antagonisme avec les autres connaissances. M. Maudsley, dans sa Physiologie de l’esprit, montre bien que le savant, quand il pense à lui, quand il se replie sur lui-même pour examiner ses propres opérations intellectuelles, cesse de penser l’objet extérieur de ses recherches avec la même facilité, de même que, quand l’orateur fait retour sur lui-même pour s’écouter parler, il cesse de s’exprimer et d’enchaîner les idées avec le même succès, ou que quand le gymnaste analyse les mouvements nécessaires pour exécuter un saut périlleux, au lieu de voir seulement le but à atteindre, ses mouvements se déconcertent, il risque de choir. Il résulte de là que la conscience de soi, c’est-à-dire la connaissance du consensus organique dans ses résultats, est un acte spécial de connaissance, et que cet acte entraine une dépense de forces cérébrales qui vient en déduction des forces