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seront aussi au même titre tous les actes de la vie sociale, envisagés au point de vue dynamique ou fonctionnel, qui n’auront été précédés d’aucune délibération éclairée. La « volonté » par laquelle l’immense majorité des citoyens d’une nation demeurent unis et maintiennent le « pacte » fondamental nous parait précisément de cette sorte, et nous persistons à croire que si pour la, masse populaire, la possibilité d’une sécession était offerte à chaque heure, même après les dettes payées et les obligations remplies, et que l’on fût mis en demeure de choisir, il n’y aurait bientôt plus de nation. Il y a dans ces questions des mesures et des nuances, que M. Fouillée, maître expert jadis au jeu des assimilations prestigieuses, n’a peut-être pas toujours assez soigneusement observées, du moins dans le vocabulaire qu’il emploie.

II

L’organisme contractuel est d’ailleurs, de l’aveu de l’auteur, moins une réalité actuelle qu’un idéal. Reste donc à savoir quel rôle doit jouer dans la science sociale la contemplation de l’idéal et quel rôle la constatation de ce qui est, bref quelle est la méthode, inductive ou déductive, qui convient à la sociologie. La preuve que M. Fouillée, tout en maintenant que l’organisme contractuel reste un organisme, tend à se séparer par sa théorie du contrat des doctrines naturalistes, c’est qu’il est résolument partisan de la méthode déductive en sociologie. On voit le lien des deux assertions : pour que la méthode logique, déductive, convienne à l’étude de la société, pour que la science sociale puisse se construire logiquement à priori, il faut que la société soit un système d’idées ; et réciproquement, si la société est une idée qui ne s’actualise que parce qu’elle est conçue, avant tout on devra partir de cette idée pour connaître la meilleure organisation sociale et la réaliser. L’idéal de chaque peuple sera le véritable objet de chaque monographie sociologique ; quant à la sociologie dans son ensemble, elle aura pour objet de dégager l’idéal de l’humanité, lequel est un. « Toute science n’a-t-elle pas besoin d’unité[1] ? » Celle-ci cessera par suite d’appartenir aux sciences de la nature, pour rentrer dans ce groupe hybride qu’on appelle les sciences morales et politiques, sciences qui se font par construction, non par observation.

  1. P. 59.