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loppe n’ont qu’une valeur scientifique des plus médiocres : la doctrine politique française est de l’ordre de la vie, non de la science ; elle est objet de connaissance, et non une connaissance ; elle fait partie du réel, mais n’est rien moins qu’une vérité démontrée. Elle doit compter parmi ces mouvements instinctifs qui s’accomplissent dans la conscience sociale, comme dans tout être vivant, sous le coup des circonstances extérieures. C’est un fait d’adaptation, mais d’adaptation par trop approximative. Gênée par un pouvoir despotique, l’opinion s’éprend de liberté, tous les théoriciens font appel aux « principes » pour justifier l’inviolabilité de l’individu ; l’État n’a plus, à les entendre, aucun droit ; puis les circonstances changent, la liberté est restaurée, les théoriciens s’autorisent des mêmes « principes » pour demander que l’État intervienne le plus possible et force au besoin le sanctuaire de la conscience. Il y a plus. Les deux théories sont soutenues en même temps au nom des mêmes et immortels principes par deux partis opposés ; l’un, étant au pouvoir, adopte la thèse autoritaire ; l’autre, vaincu, la thèse libérale. Enfin les mêmes politiciens sont à la fois décentralistes à outrance sur un point et centralistes sans réserves sur un autre. C’est le propre en effet des raisonnements logiques de se prêter en ces matières complexes, où les termes sont nécessairement très vagues, à des conclusions tout à fait opposées à partir des mêmes affirmations générales.

Toute science, nous le savons, a pour but l’adaptation de notre action aux conditions du milieu. Mais on conviendra que la première condition pour un être qui veut correspondre exactement aux conditions qui lui sont imposées est de connaître exactement ces conditions. Jamais une idée, c’est-à-dire une hypothèse, ne vaudra sous ce rapport la connaissance des faits constatés avec toutes les précautions qu’emploient les sciences empiriques. C’est ce qui assure à la méthode historique dans les sciences sociales une supériorité incontestable sur la méthode déductive. Il y a longtemps qu’on a entrevu que l’histoire est la maîtresse de la vie. Et de nos jours elle a revêtu un caractère nouveau qui la rend bien plus propre à ce rôle. Au lieu d’être une série de récits et de moralités comme autrefois, elle est devenue le tableau des évolutions ethniques, et elle nous permet d’embrasser sous des lois le développement des groupes sociaux les plus divers, depuis les peuplades sauvages jusqu’aux États-Unis d’Amérique. La Sociologie descriptive, publiée sous la direction de Spencer, montre bien de quel précieux secours est l’histoire ainsi interprétée pour la sociologie générale, avec laquelle elle se confond. Mais cette méthode elle-même doit être perfectionnée, en ce sens que