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A. ESPINAS. — études sociologiques en france

les lois entrevues par les historiens sont encore des généralisations approximatives et incomplètes, dénuées de ce caractère de précision qui seul conduit à des applications entièrement sûres. Rien ne remplace la statistique portant non seulement sur les faits passés, mais sur les faits actuels. Le chimiste et le physiologiste n’aboutissent à des prescriptions techniques certaines que par la mesure des phénomènes ; la connaissance quantitative est le seul guide assuré de l’action en ce qu’elle fournit non seulement le mode d’action nécessaire en chaque genre de pratique à l’obtention d’un résultat, mais le degré précis, le quantum dans les moyens à employer pour obtenir exactement le résultat voulu. C’est ainsi qu’on est conduit à réclamer pour la science sociale l’emploi de la statistique et de la démographie, qui constitue sa méthode définitive[1].

Déjà, la science sociale a réalisé sous ce rapport des progrès décisifs. Sur bien des points, elle présente à la pratique des solutions incontestables. Donnons-en un exemple. Le législateur peut se demander à quel âge il convient de permettre le mariage : voilà une question politique. L’individu peut se demander à partir de quel âge la satisfaction des besoins sexuels cesse d’être prématurée et par suite à partir de quel âge sa conscience peut lui permettre le mariage : voilà une question morale. La démographie répond préremptoirement à l’une et à l’autre. Elle montre que le mariage, qui préserve la vie à partir de vingt et un ans, la menace dans une proportion considérable avant ce terme. Plus de doute sur ces deux points pour le législateur comme pour l’individu[2]. Même réponse s’il faut choisir entre l’union légitime et l’union irrégulière, les enfants nés hors mariage offrant une mortalité beaucoup plus forte que les autres. Beaucoup de questions de ce genre ont déjà reçu des solutions aussi certaines. Sur d’autres points, la politique aura pour se guider, sinon des conclusions démontrées, du moins des probabilités très persuasives. Sur d’autres enfin, là où elle ne soupçonnait pas qu’il y eût quelque chose à faire, la démographie réussit du moins à lui poser des problèmes d’un intérêt capital, en attendant qu’elle puisse les résoudre ; l’effrayante mortalité des enfants dans les départements méditerranéens signalé par les travaux statistiques du Dr Bertillon en est un exemple. On peut tirer le même parti des statistiques sur

  1. Nous n’avons pas à décrire en détail la méthode statistique. Ses conquêtes sont chaque jour plus étendues. Elle est en mesure de jeter les bases d’un recensement général du monde civilisé. Voir le Projet de J. Körosi, Guillaumin. 1881.
  2. Voir l’article Démographie dans le Dictionnaire des sciences médicales. L’auteur est le Dr Bertillon, qui vient de publier la première année de l’Annuaire statistique de la ville de Paris.