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UN PRÉCURSEUR DE MAINE DE BIRAN


Maine de Biran cite à plusieurs reprises dans ses écrits un ouvrage assez peu connu d’un médecin de Montpellier, nommé Rey Régis. Cet ouvrage a pour titre Histoire naturelle de l’âme[1]. Il extrait de cet ouvrage un fait physiologique curieux, qui est devenu classique en psychologie. C’est celui d’un paralytique qui avait perdu le mouvement sans perdre la sensibilité, mais qui, lorsque quelqu’un le touchait, le piquait ou le pinçait sous sa couverture, sans qu’il pût voir l’endroit affecté, était incapable de le désigner. Il avait donc perdu la faculté de la localisation en perdant le mouvement : fait remarquable, venant à l’appui d’une théorie chère à Maine de Biran, à savoir que c’est le mouvement ou l’effort volontaire qui est la vraie cause de la localisation des perceptions. Ce fait méritait bien sans doute d’être recueilli dans l’ouvrage de Rey Régis ; mais c’était là tout ce qu’on en connaissait. L’ouvrage, très rare, n’a jamais été, que je sache, cité ni utilisé par aucun philosophe ; Biran lui-même, qui le connaissait, ne l’a jamais cité que pour le passage que nous avons signalé. Cependant il mérite à beaucoup d’égards d’être connu : on y rencontre un assez grand nombre de vues originales et personnelles. Nous y avons trouvé surtout, non sans quelque étonnement, la doctrine même de Biran sur l’effort, sur le pouvoir moteur de l’âme : sans doute Biran a notablement développé cette théorie, et a signalé des conséquences que Rey Régis n’avait pas vues ; mais la théorie en elle-même, sous la forme la plus nette, était déjà dans Rey Régis avant d’avoir été exposée et développée par Maine de Biran.

Devons-nous dire que Biran a emprunté cette doctrine à son devancier ? Nous n’irons pas jusque-là. Mais il n’y en a pas moins

  1. Montpellier, 1789. Cet ouvrage ne doit pas être confondu avec un autre qui porte le même titre : Histoire naturelle de l’âme, par le docteur Charp, de Londres. Le docteur Charp n’est autre que Lamettrie. Les deux traités sont écrits dans un esprit bien différent. Celui de Lamettrie est matérialiste ; celui de Rey Régis est au contraire, d’un spiritualisme très prononcé.