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JANET. — un précurseur de maine de biran

ici quelque chose de singulier. Il est certain en effet que Biran a connu le livre de Rey Régis, puisqu’il l’a cité. Il est certain aussi que ce livre est antérieur à ses propres travaux, puisqu’il est de 1789 et que le premier écrit de Biran est de 1797 ; et rien n’indique qu’il se soit beaucoup occupé de philosophie auparavant. Il n’est pas moins certain que Biran, qui cite Rey Régis, ne le cite jamais que pour un fait particulier, sans faire aucune allusion à une théorie qui leur serait commune et dont il se serait inspiré. Enfin il est certain que les principes de cette théorie sont déjà chez son devancier, au moins nous allons essayer de le montrer. Tous ces faits, on en conviendra, sont bien singuliers ; il y a lieu d’introduire ici un procès de priorité assez délicat et difficile à résoudre. En tout cas, Rey Régis mérite par lui-même de recouvrer une place dans l’histoire de la philosophie française ; et c’est cette justice an peu tardive que nous venons lui rendre aujourd’hui.

I

L’ouvrage de Rey Régis est intitulé, avons-nous dit, Histoire naturelle de l’âme. Il est en deux volumes in-12 et se compose de huit traités. De ces huit traités, celui qui nous intéresse particulièrement est le premier, qui a pour titre métaphysiologie, ou traité de la puissance motrice de l’âme.

Dans ce traité, Rey Régis défend contre les cartésiens et surtout contre Malebranche l’action directe et motrice de l’âme sur le corps ; reconnaissons là déjà l’indice d’une pensée originale et investigatrice, Car il y avait bien longtemps qu’en philosophie on ne s’inquiétait plus de l’efficace des causes secondes ; cette question, qui avait tellement préoccupé les cartésiens au xviie siècle, avait été oubliée et négligée par les philosophes français du xviiie. Même la théorie si originale de David Hume sur l’origine de l’idée de cause n’avait pas encore pénétré en France. Ni Condillac, ni Diderot, ni Voltaire, ni même Tracy et Cabanis ne l’ont connue. Rey Régis ne paraît pas la connaître davantage ; mais il connaît le problème, au moins au point de vue cartésien. Les cartésiens avaient posé le problème au point de vue métaphysique ; David Hume le posa au point de vue psychologique et critique, et les sensualistes français du siècle dernier ne se sont préoccupés ni de l’un ni de l’autre de ces deux points de vue.