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Rey Régis va rejoindre le xviie siècle sur cette question, et il prend directement à partie, la théorie de Malebranche sur l’inefficace de l’âme. A cette théorie d’inertie spiritualiste il oppose la doctrine de l’action motrice de l’âme prouvée par le sentiment de l’effort. Non seulement l’âme meut le corps par la volonté ; mais elle le meut encore involontairement et sans le savoir aussi bien qu’en le voulant ; enfin le premier acte de cette puissance motrice inconsciente est la fabrication du corps lui-même. En un mot, nous trouvons dans Rey Régis la théorie de l’effort de Maine de Biran, une théorie de l’inconscient qui anticipe sur Hartmann, et enfin une doctrine ani miste qui rappelle celle de Stahl sans que l’auteur le cite et paraisse même l’avoir connu. Reprenons ces différent points.

C’est à Malebranche que l’auteur s’attaque tout d’abord. Il combat la doctrine selon laquelle l’âme ne serait qu’une substance passive. « Un être purement passif est, dit-il, un être de raison. » L’expérience aussi bien que la raison démentent cette prétendue passivité. Ici, l’auteur invoque le fait classique, devenu depuis si banal, du mouvement du bras par la volonté : « Si, lorsque je meus peu à peu mon bras, je me rends bien attentif à ce qui se passé en moi relativement à cette action, je sens, j’aperçois de la manière la plus claire que c’est moi et non une cause étrangère qui remue cette partie. À proportion que je fléchis le bras, je sens une force qui émane de mon âme, une certaine influence qui dérive de moi, du sein de mon être, une force intrinsèque que j’applique moi-même à cette partie et qui ne m’appartient pas moins que mes pensées, mes volitions, etc. ; la même expérience faite et répétée tant que vous voudrez vous donnera toujours le même résultat. » Le cartésien Louis de La Forge soutenait la même doctrine que Malebranche, disant que « la volonté tend à l’action, qu’elle sort pour ainsi dire d’elle-même, mais qu’avec tout cela elle ne fait rien. » Rey Régis trouvait avec raison dans ces paroles du galimatias. Qu’est-ce qu’une volonté qui sort d’elle-même, qui se détermine à l’action, et qui cependant ne fait rien ? Malebranche, de son côté, reconnaissait bien le sentiment de l’effort ; mais c’était, suivant lui, « un sentiment obscur et confus qui nous est donné pour nous faire connaître notre faiblesse, mais qui est jncapable de donner aucun mouvement aux esprits[1]. » Dans la réfutation que Rey Régis fait de cette doctrine, ne croiriez-vous pas entendre Maine de Biran lui-même ? « Si c’était une cause étrangère, dit-il, qui donnât le mouvement à mon bras, Dieu ou tout autre cause qu’on voudra le supposer, je ne sentirais pas plus

  1. Rech., Éclaircissement XV sur le chapitre 3 de la 2e partie du 6e livre.