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JANET. — un précurseur de maine de biran

d’influence ou d’effort de la part de mon âme que si quelqu’un, de mon consentement, s’amusait à le remuer. Or, j’en appelle à l’expérience, si quelqu’un remue mon bras, ou si je le remue moi-même, ne sens-je pas quelque chose de tout différent, surtout si je tiens un corps pesant à la main ? »

Le sentiment de l’effort ne nous donne pas la connaissance de l’organe. Ce n’est que par association et par habitude que nous rattachons le mouvement de l’organe à l’effort intérieur.

« Lorsque nous remuons quelque partie, dit Rey Régis, la force ou l’effort de l’âme nous sont manifestés clairement ; nous sentons aussi dans le même moment l’impression que cet effort fait sur l’organe ; mais nous ne connaissons par cette voie ni cet organe ni son mouvement ; c’est à nos autres sens, c’est à la vue, au tact, mais surtout à la vue, à nous éclairer là-dessus… L’habitude fortifie ensuite la liaison de toutes ces connaissances et des sensations. Lorsque je fléchis mon bras, les yeux surtout me font voir que c’est à cette partie appelée bras que mon âme applique son effort… que le résultat de mon effort et de mon action est le mouvement de mon bras, en un mot que c’est mon bras qui se meut à proportion que mon esprit lui applique et lui fait sentir, pour ainsi dire, la force motrice. L’habitude fortifie ensuite la liaison de ces connaissances. »

L’effort se distingue des autres phénomènes de l’âme. Il n’est ni une perception ni un sentiment. « Ce n’est point une perception, dit l’auteur ; la perception est l’acte, l’effet naturel de la faculté de connaître. Le mouvement ou l’action qui meut est tout à fait différente de le connaissance ; l’âme aperçoit bien son effort moteur, mais elle aperçoit en même temps que l’effort et la perception de l’effort ne sont pas la même chose. C’est encore moins un sentiment ; l’âme, au lieu de recevoir, donne ici et imprime elle-même quelque chose au corps. »

Il est impossible de méconnaitre dans ces curieux passages quelques-uns des traits essentiels de la doctrine de Maine de Biran, Comme celui-ci, Rey Régis a reconnu l’importance psychologique du phénomène de l’effort ; comme lui, il a défendu la force motrice de l’âme contre la doctrine d’inertie préconisée par les cartésiens ; comme Biran, il a signalé la différence fondamentale, si éclatante aux yeux de la conscience, entre le mouvement imprimé du dehors à nos organes et le mouvement que par notre propre force nous lui imprimons du dedans. Le nisus que Leibniz avait signalé comme caractère propre de la force mais qu’il n’avait considéré qu’au point de vue métaphysique et dans les choses en soi, est décrit ici psychologiquement avec une vérité parfaite. Tout cela nous autorise à donner à Rey Régis le nom de précurseur de Maine de Biran.