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Hâtons-nous d’ajouter que si le fait de l’effort a été également saisi et décrit par les deux penseurs, et par l’un avant l’autre, Maine de Biran cependant a pu en tirer toute une doctrine philosophique, ce que Rey Régis n’a point fait. Pour celui-ci, l’effort moteur est un fait original, distinct de tous les autres faits psychologiques, mais sur la même ligne. Pour Maine de Biran, il est « le fait primitif » de la conscience. Il en tire une réfutation de la doctrine de Hume sur l’origine de l’idée de pouvoir ou de causalité ; il en tire, contre Berkeley, une preuve expérimentale de la réalité du monde extérieur prouvée par la coexistence nécessaire du moi et du non-moi dans l’effort moteur ; il en tire une doctrine nouvelle des catégories qui ne sont plus pour lui les résultats de la sensation comme pour Condillac, mais qui ne sont pas davantage des idées innées ou des formes à priori, comme pour Descartes et Kant, mais simplement les divers points de vue que l’âme découvre en elle-même par la réflexion dans l’exercice de son activité intérieure.

Toutes ces considérations ont échappé à Rey Régis : il n’a vu qu’un fait ; il n’en a pas tiré un système. En revanche, il à peut-être mieux vu que Biran lui-même la distinction entre la force motrice et la volonté. Celui-ci a trop confondu l’acte volontaire avec l’effort musculaire ; et en cela sa doctrine tient encore par quelque endroit du matérialisme, dont elle était issue. Rey Régis établit au contraire une distinction entre ces deux faits : « Si la cause du mouvement, dit-il, résidait dans ma seule volonté, je ne sentirais pas mon influence. D’abord après l’acte de ma volonté, le mouvement devrait se faire nécessairement sans autre chose de ma part. Mais j’ai beau vouloir le plus sincèrement du monde que mon bras se remue, j’ai beau répéter ma volition ; si sincère et si forte qu’elle soit, mon bras restera dans l’inaction jusqu’à ce que je lui applique moi-même la force motrice, jusqu’à ce que j’exécute et produise le mouvement que la volonté désire, par une vertu, par une force que je sens couler de moi et qui ne dérive d’aucune cause étrangère ni même de ma simple volonté… Le commandement, dit-il encore, est la seule action naturelle de la volonté. On ne saurait dire que ce mouvement soit un commandement. Il ne suffit pas de vouloir pour que nos membres se remuent. Nous sentons qu’une autre faculté, à qui la faculté ne fait que commander, exécute ces mouvements. » Ainsi notre volonté ne produit pas directement le mouvement, elle ne le fait que par l’intermédiaire de la faculté motrice.

Cette distinction de la faculté motrice et de la volonté conduit Rey Régis à des conséquence importantes, qui sont encore une sorte de pressentiment de quelques opinions récentes. Non seulement,