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JANET. — un précurseur de maine de biran

suivant lui, l’âme meut le corps volontairement et avec réflexion, mais elle le meut aussi involontairement et sans conscience. Pour établir cette seconde proposition, Rey Régis affirme qu’il y a dans l’âme des choses dont elle ne s’aperçoit pas, principe qui a pris de nos jours une si grande importance et qui était si peu connu de la psychologie du xviiie siècle, quoique Leibnitz l’eût déjà fortement établi. Mais Leibniz était alors peu connu en France : ses Nouveaux essais, publiés en 1764, n’avaient fait aucune sensation et ne sont cités nulle part. Rey Régis lui-même, qui se rencontre si souvent avec Leibniz, ne paraît pas le connaître et n’y fait aucune allusion.

Les cartésiens, dit-il, en définissant l’âme une substance qui pense, avaient été amenés à soutenir que tout ce que l’âme ne perçoit pas comme lui appartenant, ne lui appartient pas en effet. Louis de La Forge en tirait en effet cette conclusion, « que tout ce qui se fait en nous sans que l’esprit s’en aperçoive, ce n’est pas l’esprit qui le fait. » Cette conclusion est fausse, aussi bien que la définition de Descartes, Sans doute, tout ce dont l’âme s’aperçoit lui appartient en effet ; mais la réciproque n’est pas vraie. Cette réciproque ne repose ni sur la métaphysique ni sur l’expérience. Pourquoi l’âme n’aurait-elle pas « des facultés inconnues[1] ? » Sans doute, l’âme ne peut sentir sans s’apercevoir qu’elle sent ; mais en est-il de même de ses actions ? L’âme même pense et veut sans savoir comment elle doit s’y prendre pour penser et vouloir ; et même, après avoir pensé et voulu, elle ne sait ni ce qu’elle a fait ni comment elle pu faire ce qu’elle a fait. Il n’est donc pas essentiel à l’âme de savoir ce qu’elle fait.

Rey Régis signale, comme Leibniz, ces faveur de sa thèse ce qu’il appelle « les petites pensées et les légères volitions » qui se produisent continuellement en nous sans que nous en ayons un souvenir clair et précis. Combien est-il d’hommes auxquels la réflexion est inconnue, qui n’ont que « des pensées directes, c’est-à-dire pensent sans avoir jamais pensé qu’il pensaient. »

En conséquence, il y aurait dans l’âme, selon Rey Régis, une puissance motrice qui est peut-être « la moindre de nos facultés » et qui ne paraît pas lui être aussi essentielle que les autres et qui cependant est absolument nécessaire, au moins pendant l’union de l’âme et du corps.

La doctrine de l’activité inconsciente de l’âme conduit Rey Régis à une doctrine qui n’est pas nécessairement une conséquence de celle-

  1. C’est précisément le litre même donné par M. de Rémusat à un travail fort remarqué, lu à l’Académie des sciences morales, intitulé : Des facultés inconnues (Comptes rendus de l’Académie des sciences morales et politiques).