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propre corps ». C’est une tâche qui n’est pas au-dessus de ses forces, puisqu’il suffit qu’elle ait le pouvoir de donner le mouvement aux matériaux du corps, et cela sans le savoir : or on a prouvé qu’elle avait ce pouvoir. La formation de la moindre pensée est bien plus merveilleuse que la formation du corps ; et cependant l’âme forme des pensées sans avoir appris comment on pense ; elle le fait par impulsion, par instinct ; c’est de même qu’elle forme son corps par un acte naturel de la faculté motrice.

Quel est le stimulant, l’aiguillon qui pousse l’âme dans cette action primordiale ? C’est sans doute le même qui la provoque plus tard dans toutes ses actions ; c’est l’attrait du plaisir et de la douleur. L’auteur pense hypothétiquement, sans en donner de bien bonnes raisons, que l’âme, tant qu’elle est sans organes, ne peut recevoir du dehors que des impressions irrégulières, désagréables, inutiles ; elle est gênée dans l’exercice de ses facultés. Par le moyen du corps, « elle se met à l’abri de tout. » L’âme sans corps tend donc à s’en procurer un, comme un enfant nouveau-né tend à téter, à respirer ; « elle en a soif, elle en a faim ; » son état naturel, sa destination est d’en avoir un. Elle éprouve donc un sentiment provoquant qui la pousse à s’en fabriquer un ; et les sentiments qui la portent à le conserver, à le perfectionner, sont les mêmes qui l’ont excitée à le former. Aussitôt qu’elle rencontre la matière convenable, elle s’y implante pour l’animer et la vivifier.

Mais, si l’âme a un instinct qui la pousse à se faire un corps, n’y a-t-il pas aussi réciproquement dans les molécules mêmes de la matière un attrait, un instinct, une sympathie qui la porte vers l’âme pour être renfermée dans un corps vivant ? Remarquons les paroles suivantes, si singulièrement d’accord avec ce que l’on appelle de nos jours la psychologie cellulaire : « Les éléments du corps humain, dit Rey Régis, ces êtres qui ne sont peut-être pas aussi aveugles et aussi insensibles que nous nous l’imaginons, ne pourront-ils pas avoir quelque action sur leur être dominateur, l’âme, l’affecter d’une manière singulière, lui donner surtout un certain sentiment provoquant, qui porte l’âme, qui l’excite au travail dont il s’agit, c’est-à-dire à former son corps ? Bien plus, je conçois que chaque portion de matière destinée à former chaque organe de notre corps pourrait bien affecter l’âme singulièrement… Les molécules séminales organiques, ces êtres inférieurs et sujets, bien loin de faire résistance à leur être dominateur, doivent plutôt avoir la plus grande docilité, se prêter à ses vues, faciliter ses opérations. Enfin ne peuvent-elles avoir des affinités entre elles, des propriétés respectives, qui les portent à se chercher, à s’unir, à se combiner ? Leur destination est de