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JANET. — un précurseur de maine de biran

devenir partie du corps humain ; c’est à quoi elles doivent tendre naturellement. « L’auteur ajoute ici qu’il s’expliquera mieux ailleurs, et il nous renvoie à un autre livre de lui complètement inconnu, et peut-être non publié, intitulé la Panéide. Ce titre semble indiquer, surtout en le rapprochant des pensées précédentes, que l’auteur attribuait à toutes les parties de la matière une sorte d’idée (πᾶν εἶδ), c’est-à-dire une pensée vague, une sensibilité inconsciente, doctrine assez à la mode aujourd’hui et que Maupertuis avait déjà exposée dans son Système de la nature (Œuvres, tome II)[1].

Cependant, quelle que soit la tendance instinctive de la matière organisée, elle ne suffirait pas seule à créer un corps. De simples affinités ne sont pas plus efficaces que la lyre d’Amphion ; pour construire une maison, il faut un ouvrier, une cause vraiment efficace. Ici, l’ouvrier, c’est l’âme. Rey Régis, n’admet donc pas comme un brillant philosophe de notre temps, que l’âme, dans la fabrication du corps, est purement immobile, et qu’elle n’agit qu’à titre de cause finale ; dans cette dernière hypothèse, ce seraient les matériaux eux-mêmes qui, entraînés par l’attrait du principe moteur, viendraient se ranger, se coordonner sous ses lois. Cette image de la lyre d’Amphion que M. Ravaisson affectionne, Rey Régis l’emploie également, mais c’est pour l’écarter. Il accorde sans doute beaucoup aux affinités, aux attraits de la matière vivante, mais il ne leur accorde pas tout. Il fait de l’âme une cause efficiente en même temps qu’une cause finale. Il faut, dit-il, « un constructeur, un architecte du corps humain, qui ne travaille pas à la vérité sous la direction de son intelligence, mais qui soit capable d’exécuter le plan tracé par la divine sagesse, un ouvrier non indifférent et qui prenne intérêt à l’ouvrage : cet ouvrier ne peut être que l’âme même. » Semblable à la Nature plastique de Cudworth, semblable à l’Inconscient de M. de Hartmann, l’âme selon Rey Régis accomplit une œuvre merveilleuse sans savoir ce qu’elle fait. Elle prend intérêt à son ouvrage sans le connaître ; elle est à la fois très habile et très aveugle : c’est le propre de l’instinct.

Rey Régis va si loin dans son animisme qu’il ne craint pas d’attribuer à l’âme la production des sexes. Il y a, suivant lui, des âmes mâles et des âmes femelles ; et il faut avouer que l’animisme est obligé d’aller jusque-là : car, si de telles différences étaient indépendantes de l’âme on ne voit pas trop à quoi elle servirait, si ce n’est à former un corps en général ; mais il n’y a pas d’action en général ; il n’y a que des actions déterminées ; et par conséquent la plus grande différence

  1. Voir J. Soury, De hylozoismo apud recentiores.