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JANET. — un précurseur de maine de biran

plus loin et prend de là occasion de combattre l’opinion cartésienne qui faisait de la couleur un état purement subjectif de l’âme, n’existant pas dans les choses. « C’est, dit-il, ce que j’ai toutes les peines du monde à me persuader. Je ne vois aucune observation, aucune raison, aucune expérience absolument décisive contre la réalité des couleurs matérielles : leur perception prouve leur existence. Les couleurs devant trouver leur réalité quelque part, n’est-il pas plus naturel de les placer là où elles paraissent être, c’est-à-dire dans les objets extérieurs, que dans l’âme ? Ne sont-elles pas sans comparaison plus inconcevables dans cet être que dans les corps ? » Rey Régis conclut de cette discussion que le sens de la vue est « le seul vrai sens, le seul représentatif, le seul qui, immédiatement, par lui-même et sans aucun recours, nous fait connaître les objets du dehors. Tous nos autres sens ne sont que des aiguillons, qui ne nous donnent que des sentiments aveugles, des sensations ténébreuses. »

Tout en soutenant le rôle représentatif de la vue, Rey Régis n’a pas méconnu la réalité d’une lumière subjective, inhérente à l’œil lui-même : « La lumière, dit-il, n’est pas toute hors de nous. Nous avons une lumière interne, placée dans les organes de la vue… Il y a dans le fond de nos yeux un flambeau, un phosphore, un tourbillon de lumière. Nos yeux sont de vrais corps lumineux qui répandent la lumière au dehors et qui éclairent les objets. » L’auteur croit que cette lumière interne pourrait s’exalter jusqu’au point de faire voir la nuit. On affirme, dit-il, que Tibère, Cardan, le P. Scoth ont eu cette faculté. C’est du reste une question qui a préoccupé souvent les savants ; elle a même été portée devant les tribunaux, certains hommes frappés pendant la nuit ayant émis la prétention de reconnaître leurs agresseurs à la lumière des phosphènes produits par des coups sur les yeux (Müller, Physiologie). Enfin Rey Régis va jusqu’à dire que cette lumière interne pénètre jusqu’au sanctuaire de l’âme et que « la faculté de voir ne diffère pas de la faculté de penser ».

Dans cette théorie, le toucher n’est pas seulement dépossédé du privilège qui lui est généralement accordé d’être le seul sens qui donne l’extériorité ; mais il est dépouillé complètement de cette notion ; et c’est lui à son tour qui, réduit à lui seul, devient un sens subjectif, auquel la notion d’étendue est absolument étrangère : doctrine singulièrement exagérée par elle-même, mais qui le paraît d’autant plus encore lorsqu’on la rapproche de celle de l’auteur sur la faculté motrice et sur l’effort. Car comment admettre la vérité de la sensation d’effort, si l’on n’admet en même temps la réalité d’un terme résistant, d’un obstacle qui est à la fois l’occasion et la limite de l’effort ? Ce second point de vue, qui donne le non-