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RIBOT. — les affaiblissements de la volonté

d’action subit un arrêt : le je veux ne se transforme pas en volonté impulsive, en détermination active. Des malades s’étonnent eux-mêmes de l’impuissance dont est frappé leur volonté… Lorsqu’on les abandonne à eux-mêmes, ils passent des journées entières dans leur lit ou sur une chaise. Quand on leur parle et qu’on les excite, ils s’expriment convenablement, quoique d’une manière brève : ils jugent assez bien des choses[1]. »

Comme les malades chez qui l’intelligence est intacte sont les plus intéressants, nous ne citerons que des cas de ce genre. L’une des plus anciennes observations et la plus connue est due à Esquirol :

« Un magistrat, très distingué par son savoir et la puissance de sa parole, fut, à la suite de chagrins, atteint d’un accès de monomanie… Il a recouvré l’entier usage de sa raison ; mais il ne veut pas rentrer dans le monde, quoiqu’il reconnaisse qu’il a tort ; ni soigner ses affaires, quoiqu’il sache bien qu’elles souffrent de ce travers, Sa conversation est aussi raisonnable que spirituelle. Lui parle-t-on de voyager, de soigner ses affaires : Je sais, répond-il, que je le devrais et que je ne peux le faire. Vos conseils sont très bons, je voudrais suivre vos avis, je suis convaincu ; mais faites que je puisse vouloir, de ce vouloir qui détermine et exécute. — Il est certain, me disait-il un jour, que je n’ai de volonté que pour ne pas vouloir ; car j’ai toute ma raison ; je sais ce que je dois faire ; mais la force m’abandonne lorsque je devrais agir[2]. »

Le médecin anglais Bennett rapporte le cas d’un homme « qui fréquemment ne pouvait pas exécuter ce qu’il souhaitait. Souvent, il essayait de se déshabiller et restait deux heures avant de pouvoir tirer son habit, toutes ses facultés mentales, sauf la volition, étant parfaites. Un jour, il demanda un verre d’eau ; on le lui présente sur un plateau, mais il ne pouvait le prendre, quoiqu’il le désirât ; et il laissa le domestique debout devant lui pendant une demi-heure, avant de pouvoir surmonter cet état. « Il lui semblait, disait-il, qu’une autre personne avait pris possession de sa volonté[3]. »

Un auteur qu’il faut toujours citer, pour les faits de psychologie morbide, Th. de Quincey, nous a décrit d’après sa propre expérience cette paralysie de la volonté. L’observation est d’autant plus précieuse qu’elle est due à un esprit subtil et à un écrivain délicat.

Par l’abus prolongé de l’opium, il dut abandonner des études qu’il

  1. Guislain. Leçons orales sur les phrénopathies, tome I, p. 479, p. 46 et p. 256. Voir aussi Griesinger, Traité des maladies mentales, p. 46. Leubuscher. Zeitschrift für Psychiatrie, 1847.
  2. Esquirol, I, 490.
  3. Bennett, ap. Carpenter, Mental Physiology, p. 385.