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RIBOT. — les affaiblissements de la volonté

Un homme, à l’âge de trente ans, se trouve mêlé à des émeutes qui lui causent une grande frayeur, Depuis, quoiqu’il ait conservé sa parfaite lucidité d’esprit, qu’il gère très bien sa fortune et dirige un commerce important, « il ne peut rester seul ni dans une rue ni dans sa chambre ; il est toujours accompagné. Lorsqu’il est hors de chez lui, il lui serait impossible de rentrer seul à son domicile. S’il sort seul, ce qui est très rare il s’arrête bientôt au milieu de la rue et y resterait indéfiniment sans aller ni en avant ni en arrière, si on ne le ramenait. Il paraît avoir une volonté, mais c’est celle des gens qui l’entourent. Lorsqu’on veut vaincre cette résistance du malade, il tombe en syncope[1].

Plusieurs aliénistes ont décrit récemment sous les noms de peur des espaces, peur des places (Platzangst), agoraphobie, une anxiété bizarre qui paralyse la volonté et contre laquelle l’individu est impuissant à réagir ou n’y parvient que par des moyens détournés.

Une observation de Westphal peut servir de type. Un voyageur robuste, parfaitement sain d’esprit et ne présentant aucun trouble de la motilité, se trouve saisi d’un sentiment d’angoisse à la vue d’une place ou d’un espace quelque peu étendu. S’il doit traverser une des grandes places de Berlin, il a le sentiment que cette distance est de plusieurs milles et que jamais il ne pourra atteindre l’autre côté. Cette angoisse diminue ou disparaît s’il tourne la place en suivant les maisons, s’il est accompagné, où même simplement s’il s’appuie sur une canne.

Carpenter rapporte d’après Bennett[2] une « paralysie de la volonté » qui me paraît du même ordre. « Lorsque cet homme se promenait dans la rue et qu’il arrivait à quelque point d’interruption dans la rangée des maisons, il ne pouvait plus avancer ; sa volonté devenait soudainement inactive. La rencontre d’une place l’arrêtait infailliblement. Traverser une rue était aussi chose fort difficile, et, lorsqu’il passait le seuil d’une porte pour entrer ou sortir, il était toujours arrêté pendant quelques minutes. »

D’autres, en pleine campagne, ne se sentent à l’aise qu’en marchant le long des taillis ou à l’abri des arbres. On pourrait multiplier les exemples, mais sans profit, car le fait fondamental reste le même[3].

Les discussions médicales sur cette forme morbide n’importent

  1. Billod., loc. cit., p. 191.
  2. Loc. cit., p. 385.
  3. Pour plus de détails, voir : Westphal, Archiv. für Psychiatrie, tome III, (deux articles) ; Cordes, Ibid ; Legrand du Saulle, Annales médico-psychologiques, p. 405, 1876, avec discussion sur ce sujet ; Ritti, Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, art. Folie avec conscience.