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pas ici. Le fait psychologique se réduit à un sentiment de crainte, comme il s’en rencontre tant d’autres, et il est indifférent que ce sentiment soit puéril et chimérique quant à ses causes ; nous n’avons à constater que son effet, qui est d’entraver la volition. Mais nous devons nous demander si cette influence dépressive arrête seule l’impulsion volontaire, intacte par elle-même, ou si le pouvoir de réaction individuelle, lui aussi, est affaibli. La deuxième hypothèse s’impose ; car le sentiment de la peur n’étant pas insurmontable (ces malades le prouvent dans certains cas), il faut bien admettre que la puissance de réaction de l’individu est tombée au-dessous du niveau commun ; en sorte que l’arrêt résulte de deux causes qui agissent dans le même sens.

On ignore malheureusement les conditions physiologiques de cet affaiblissement. Beaucoup de conjectures ont été faites. Cordes, atteint lui-même de cette infirmité, la considère « comme une paralysie fonctionnelle, symptomatique de certaines modifications des foyers centraux moteurs et capable de faire naître en nous des impressions. Dans l’espèce, ce serait une impression de peur qui donnerait naissance à la paralysie passagère : effet presque nul si l’imagination seule entre en jeu, mais porté au plus haut degré par l’adjonction des circonstances environnantes. » La cause primitive serait donc « un épuisement parésique du système nerveux moteur ; de cette portion du cerveau qui préside non seulement à la locomotion, mais aussi à la sensibilité musculaire. »

Cette explication, si elle était bien établie, serait pour notre sujet d’une grande importance. Elle montrerait que l’impuissance de la volonté dépend d’une impuissance des centres moteurs, ce qui aurait l’avantage de donner à nos recherches une base physiologique assurée. Mais il serait prématuré de tirer ici des conclusions qui seront mieux placées à la fois de notre travail.

Je ne parlerai pas longuement de l’état mental appelé folie du doute ou manie de fouiller (Grübelsucht). Il représente la forme pathologique du caractère irrésolu, tout comme l’aboulie est celle du caractère apathique. C’est un état d’hésitation constante pour les motifs les plus vains, avec impuissance d’arriver à un résultat définitif.

L’hésitation existe d’abord dans l’ordre purement intellectuel. Ce sont des interrogations sans fin que le malade s’adresse. J’emprunte un exemple à Legrand du Saulle. « Une femme fort intelligente ne peut sortir dans la rue sans se demander : Va-t-il tomber d’une fenêtre quelqu’un à mes pieds ? Sera-ce un homme ou une femme ?