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PSYCHOLOGIE DES GRANDS HOMMES

2e article[1]

La préparation par l’hérédité dans la famille.

I

Qu’avec la transmission des caractères opérée par l’hérédité dans les familles il y ait souvent une accumulation de conditions préparant tels ou tels individus à la maladie physique, à la faiblesse d’esprit, à la folie et même à certains vices, c’est ce dont nul homme instruit ne peut aujourd’hui douter. Il arrive Sans doute que cette préparation est traversée par d’autres influences, dont quelques-unes sont aussi héréditaires, et elle s’en trouve alors affaiblie d’autant ; mais enfin elle a été constatée bien souvent et de la façon la plus authentique.

Y a-t-il une préparation héréditaire analogue hâtant l’apparition du génie ? C’est une question singulièrement plus obscure et sur laquelle nous ne croyons pas qu’on ait obtenu des résultats aussi décisifs. L’hypothèse n’a rien assurément qui soulève d’autres préventions que des préventions très favorables. À côté des cas nombreux où l’hérédité semble un châtiment, il y en aurait de nouveaux où elle se montrerait comme une récompense. La morale n’aurait qu’à se réjouir d une semblable découverte qui compléterait l’une de ses sanctions les plus populaires. Si en effet Gœthe avait raison[2] quand il croit qu’il suffit à une famille de durer longtemps pour produire un jour ou l’autre un représentant éminent de ses qualités les meilleures, on pourrait soutenir aussi qu’en définitive ne dure pas qui veut ; que la persistance d’une race est la garantie de sa vigueur, par conséquent de sa moralité ; que, dans la lutte de la vie, on ne triomphe qu’en s’armant d’énergie contre les défaillances et de modération contre les excès. Si donc il était prouvé qu’une famille est d’autant plus apte à produire un homme de génie, qu’elle a conservé plus intact et plus fortement accru le trésor domestique des nobles sentiments, des belles

  1. Voir le numéro de mai de la Revue philosophique.
  2. Voyez la phrase de Gœthe citée dans l’article précédent.