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traditions, des solides vertus, si l’histoire nous démontrait que la sagesse des alliances et la fécondité des mariages sont les agents les plus surs de l’élaboration des grands hommes, encore une fois qu’y aurait-il de plus moral et de plus consolant ? Mais quels faits pouvons-nous produire à l’appui de cette hypothèse, et comment ces faits doivent-ils être interprétés ? Telle est la question délicate.

Déblayons d’abord le terrain ; écartons les opinions où la fantaisie aurait plus de part que la science. Comme on trouve toujours des raisons à l’appui de toute habitude, il s’est vu des gens pour justifier le droit d’aînesse, sous prétexte que le premier-né devait être l’expression la plus vigoureuse de la nature physiologique des parents. D’autres ont réclamé pour les cadets. Enfin on assure que, chez certains peuples, c’était le dernier qui était le mieux traité par la coutume et par la loi, comme il est encore dans un grand nombre de familles le plus tendrement choyé de toute la maison. Toute tentative d’édifier une théorie sur l’un ou l’autre de ces sentiments ou de caprices serait évidemment puérile. Si les enfants d’un même lit sont comme autant d’épreuves successives tirées d’un original commun, rien ne donne à croire que le relief et la pureté de la copie aillent en gagnant ou en perdant avec le nombre des épreuves, tant qu’on reste bien entendu dans les limites d’un âge raisonnable. Le grand Arnauld était le vingtième enfant de sa famille (sur vingt-deux.) Boileau le quinzième, Malebranche le dixième ; Mozart en était le septième ; Mirabeau en était le cinquième, ainsi que Michel-Ange et Cromwell. Napoléon vint au quatrième rang ; Montaigne, Descartes, le cardinal de Richelieu, Voltaire, au troisième ; Pascal et Montesquieu, au° deuxième. Mais saint Louis, Christophe Colomb, Raphaël, Henri IV, Condé, Louis, XIV, Corneille, Molière, Newton, Leibniz, Diderot, Gœthe furent des aînés ou des fils uniques.

Si l’on était donc tenté de supposer que les frères et sœurs d’un grand homme sont généralement comme des ébauches auxquelles manque un dernier trait pour réaliser cette œuvre achevée où tendait l’effort de la race, serait-on près ou serait-on loin de la vérité ? La supposition pourrait sembler d’autant plus hardie que la disproportion entre le grand homme et tel ou tel de ses frères (surtout de ceux qui l’ont précédé) est souvent énorme. Quel rapport y-a-t-il entre Charlemagne et son frère Carloman ? entre Napoléon I° et son frère Joseph, si timide et si doux ? entre le grand Mirabeau et son frère Mirabeau Tonneau ? Des frères de Malebranche, on nous cite Charles Malebranche, à qui son inconstance fit plus d’une fois reprendre et quitter l’habit de l’Oratoire, puis un autre qui mourut, sans enfants, conseiller au Parlement de Paris. On ne dit rien de plus de l’un ni de