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donner naissance à une femme remarquable. En voilà du moins un exemple, et en voici plusieurs autres.

Corneille était l’aîné de sept enfants. Je n’oublie pas qu’il eut pour frère Thomas Corneille. Mais il ne faut pas oublier non plus que de l’une de ses sœurs naquit Fontenelle[1]. Pascal avait deux sœurs, Gilberte, qui devint Mme Périer et qui était son ainée, Jacqueline, qui était sa cadette. La plus distinguée des deux était sans contredit sa cadette Jacqueline[2], esprit facile et vif, extrêmement précoce, elle aussi, pieuse de très bonne heure et jusqu’à l’exaltation, d’une sensibilité excessive, mais qui, au lieu de se laisser aller, comme Mme Périer, aux sentiments de la nature et aux affections de la famille, devint une des religieuses les plus austères de Port-Royal. Diderot était l’aîné d’un frère et d’une sœur ; son frère fut un chanoine très dévot, « d’une sensibilité rentrée et contrainte[3], » c’est-à-dire en vérité ne lui ressemblant guère. Ne trouve-t-on pas au contraire beaucoup de lui dans sa sœur, dont Sainte-Beuve nous dit qu’elle était « vive, agissante, gaie, décidée, sans souci ni pour le présent ni pour l’avenir, ne se laissant imposer ni par les choses ni par les personnes, libre dans ses actions, plus libre encore dans ses propos, une espèce de Diogène femelle. » Entre les frères et sœurs de Bonaparte, les différences de caractères et d’aptitudes étaient, comme on sait, considérables ; mais nul ne lui ressemblait autant que sa jeune sœur Elisa, dont le plus récent historien de la famille[4] nous dit « qu’elle avait tout le caractère de son frère, toute l’âpreté de ses convoitises,… que son regard était profond, sa tête bien faite, ses lèvres fortes, son menton accusé, son teint mat, ses cheveux noirs abondants, ses extrémités délicates… » À côté de Gœthe enfin, les historiens de la littérature allemande[5] nous citent sa sœur Cornélie, née après lui, comme une personne étrange, repoussant plutôt qu’attirant les regards, âme ardente, souffrant de sa laideur, mais d’un caractère énergique et d’une rare intelligence.

Voici maintenant deux ordres de faits qu’on peut, ce semble, rapprocher du précédent.

D’abord il est plus facile de trouver dans la postérité même des

  1. Un contemporain, Vigneul de Marville, parle du grand charme et du grand mérite de cette sœur, Marthe Corneille, à laquelle Pierre s’empressait toujours d’aller lire les vers qu’il venait de composer. (Voy. Œuvres de Corneille, édition Ch. Louandre, t. I, introduction, xix.)
  2. Rappelons que V. Cousin a consacré à Jacqueline Pascal un volume entier, où il cite d’elle un certain nombre de fragments et d’assez beaux vers.
  3. Sainte-Beuve.
  4. M. Jung.
  5. Voyez particulièrement M. Mézières.