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ANALYSES. — A. WERNICKE. Die Religion des Gewissens.

à cette religion positive. Aujourd’hui, tout le monde doit croire au Dieu immanent, qui se manifeste par la voix de la conscience. « Appuyé sur la reconnaissance de la liberté de conscience, le protestantisme a accompli sa tâche historique et civilisatrice, il a détruit le christianisme. Ainsi se trouve dans le passé une garantie pour l’avenir. Le développement du siècle prochain est indiqué d’avance. L’idée du christianisme (de la doctrine de la Trinité selon saint Paul) s’en va disparaître, l’idée d’une religion de la conscience apparaît, et elle arrivera à dominer, Notre époque ne manque pas tout à fait de science ; mais il lui manque le prophète qui portera dans la rue et annoncera au peuple la sagesse enfouie dans les écoles sous un désert d’érudition. » Ce passage peut donner une idée du ton et de la méthode de l’auteur.

Le second chapitre, qui expose l’histoire du problème de la liberté dans Kant, est beaucoup meilleur. L’exposition est en général fidèle, exacte et aussi claire que possible. M. Wernicke attache la plus grande importance à l’ouvrage de Kant intitulé : Les rêves d’un visonnaire expliqués par les rêves de la métaphysique et qui fut écrit, comme on sait, à propos de Swedenborg. Nous croyons, comme lui, que Kant a exprimé là, sous une forme plus libre que lui permettaient la nature de l’ouvrage et l’entraînement de l’hypothèse, quelques-unes de ses idées les plus chères ; mais encore ne faut-il pas faire de cet écrit « le point capital de l’œuvre de Kant ». On s’explique, il est vrai, la prédilection de M. Wernicke pour cet ouvrage, quand on lit plus loin : « Kant se trouvait alors sur le meilleur chemin possible pour entrer à pleines voiles dans le port sauveur du panthéisme. » La réfutation de Kant par M. Wernicke n’est pas à beaucoup près aussi heureuse que son exposition est claire. Il soutient d’abord que la liberté est inconciliable avec l’idée de Dieu. Kant aurait refusé de discuter la question, Il aurait dit qu’il ignore avec quoi la liberté est conciliable ou non, attendu qu’il en a un concept purement négatif et qu’il ne sait rien d’elle, sinon qu’elle existe, comme postulat de la loi morale. Ensuite Kant, selon M. Wernicke, n’a pas le droit de parler de choses en soi ; la pluralité appartient au monde sensible, et ne doit pas se retrouver dans le monde intelligible ; il ne fallait donc pas dire qu’il existe des noumènes, mais un noumène, c’est-à-dire une seule substance de toutes choses. Et voilà comment Kant aurait dû être panthéiste. Mais M. Wernicke ne voit pas que, si la notion de pluralité n’a pas de place dans le monde des noumènes, celle d’unité, qui lui est corrélative, n’en a pas non plus. Comment se fait-il que comprenant si bien la Critique de la raison pure et les Prolégomènes à toute métaphysique future, que pénétré, à ce qu’il semble, de l’esprit kantien, M. Wernicke, à la page suivante, retombe, avec son panthéisme, dans cette illusion perpétuelle de la métaphysique dogmatique, à laquelle Kant avait cru mettre fin ?

Le chapitre troisième st intitulé « Développement de la Conscience dans l’homme ». Il s’agit ici de la conscience morale. L’auteur com-