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mence par un nouveau résumé, plus court cette fois, de la doctrine kantienne, en insistant surtout sur la relativité de la connaissance. Il conserve la distinction des phénomènes et des noumènes ou choses en soi, mais il se refuse à admettre, comme Kant, la liberté. « Chacune de nos actions, dit-il, est une réaction contre les modifications qui nous viennent du dehors. Mais l’expérience nous montre que ces réactions peuvent être provoquées de deux manières différentes ; nous sommes déterminés dans nos actions, soit par des excitations, soit par des représentations. Quand une action est déterminée par des excitations, nous l’appelons involontaire, tandis que nous appelons volontaire l’action à la détermination de laquelle des représentations ont concouru. Les actions volontaires sont, aussi bien que les involontaires, déterminées par la loi de fer de la nécessité ; seulement les représentations qui sont en relation avec l’acte peuvent provoquer l’illusion d’une liberté. »

L’action de l’homme est toujours une résultante de ces deux forces : le monde extérieur (quel qu’il soit) qui agit sur lui et sa spontanéité propre.

La volonté n’est qu’une réaction régulière, rien de plus ; mais comment expliquer la croyance au libre arbitre ? Rien n’est plus facile. Nous avons en nous une idée de la loi morale qui nous fait distinguer le bien du mal. Si elle l’emporte sur les autres idées et sur les excitations venues de l’extérieur, à un moment donné, nous faisons une bonne action ; sinon, une mauvaise. Supposons que ce dernier cas se soit présenté. Au bout de quelque temps, les idées et les excitations qui ont déterminé notre action ont disparu de la conscience et y sont remplacées par d’autres. L’idée de la loi morale est demeurée. Comme nous ne pouvons reconstituer entièrement l’état de conscience où nous étions au moment de l’action, non seulement nous disons : « Tu aurais dû agir autrement ! » mais aussi : « Tu aurais pu agir autrement ! » Cette réfutation de la liberté n’offre rien d’original et se trouve déjà dans Stuart Mill.

L’auteur est plus heureux quand il refuse d’admettre, avec Kant, que la conscience morale soit quelque chose d’absolu, quand il prétend qu’on en peut retrouver la genèse. « Kant, dit-il, admet la loi morale dans l’homme, comme un héritage, qui lui vient du monde des noumènes ; on peut affirmer au contraire que la conscience ne se développe dans l’homme que sous certaines conditions, et qu’ainsi l’idée de la loi morale, comme toutes les autres idées, se forme peu à peu par le commerce de l’homme avec le monde extérieur. » Et pour le prouver il fait appel à l’expérience. Il assimile le développement de la conscience morale de l’humanité à celui de l’individu, il montre que l’enfant est d’abord exclusivement égoïste ; puis, éclairé par l’expérience du plaisir et de la douleur, il cherche son intérêt en le conciliant autant que possible avec celui des autres ; et enfin il s’élève à la morale véritable, qui est la morale de l’amour. « De la morale de l’égoïsme grossier, le chemin qui conduit à la morale de l’amour passe nécessairement par la