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ANALYSES. — A. WERNICKE. Die Religion des Gewissens.

morale de l’intérêt. » Seulement ces degrés que l’humanité a mis des siècles et des dizaines de siècles, peut-être même davantage, à franchir, l’enfant les parcourt en quelques années, grâce à l’éducation morale. Arrivé à l’âge de raison, il comprend la morale parfaite, qui se résume en ce précepte : « Aime ton prochain comme toi-même. » D’ailleurs point de responsabilité, puisque la liberté n’est qu’une illusion. Ceux qui font le mal sont simplement des gens qui sont au-dessous de la culture morale de leur époque, soit par défaut d’éducation, soit par un effet inévitable de l’atavisme ; il n’y a qu’à les mettre hors d’état de nuire et à les éclairer si l’on peut. « Il n’y a pas de liberté, et par conséquent le seul but de la punition doit être d’améliorer l’individu et de protéger la société. » L’humanité marche instinctivement dans le chemin du progrès, à la voix toujours plus claire de la conscience ; elle garde soigneusement le trésor de moralité qui lui a été légué par les générations antérieures et se détourne de ceux qui par leurs actions tendraient à diminuer le bonheur général et à la ramener en arrière.

Tout ce chapitre est dominé par l’idée de progrès, sans que d’ailleurs l’auteur explique ce qu’il entend par là. En général, il procède beaucoup plus par affirmations que par démonstrations. Il prend pour accordé tout ce dont il a besoin pour soutenir sa thèse. Aussi peut-on regarder son ouvrage comme un exposé de vues parfois intéressantes, mais toutes personnelles et sans prétention scientifique.

Ce caractère est encore plus sensible dans le chapitre suivant, intitulé « Importance de la Conscience dans l’histoire de l’humanité. » L’auteur commence par des hypothèses très hasardées sur l’histoire primitive de l’homme, et que l’anthropologie, comme il le dit lui-même, est actuellement hors d’état de vérifier. Il n’admet pas, à l’origine, la lutte de tous contre tous, dont parle Hobbes : parce que « nous pouvons prendre pour accordé que les premiers hommes, sur le sol où ils apparurent, trouvèrent une nourriture abondante. Si l’humanité est sortie du développement des formes animales supérieures, elle avait déjà combattu, avant d’arriver à ce point, la plus grande partie de la lutte de tous contre tous, et il s’était déjà développé en elle un certain instinct de société ; si au contraire l’humanité descend d’un couple, ou les différents peuples de différents couples, de façon que l’humanité ou chaque peuple dès la première époque de son développement formait déjà une sorte ne famille, au bout d’un laps de temps relativement court, l’égoïsme a dû être renfermé dans de certaines limites par l’action de l’amour maternel. »

L’auteur insiste ensuite sur la force de l’instinct maternel, puis fait dériver de la famille la forme monarchique de gouvernement, en prenant pour intermédiaire l’état patriarcal. Du commerce des hommes entre eux et des nations entre elles, sortent peu à peu les principes de la morale et du droit, qui changent et se perfectionnent à mesure que l’humanité avance.

Ici se place une digression sur l’origine et l’histoire des religions, où