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l’auteur ne se montre pas moins hardi que dans ses hypothèses anthropologiques, Il affirme sans hésiter que « sûrement le premier culte des dieux apparut sous la forme du culte des astres ; pour preuve, nous plaçons encore le siège de la divinité dans le ciel. » — « La philologie comparée, dit-il encore, arrive, aussi bien que la mythologie critique, à cette conclusion que la forme primitive des religions était monothéiste. » La mythologie hellénique est un résultat du morcellement politique de la race grecque. Et plus loin, « Originairement, tous les peuples étaient monothéistes, » Personne n’est en état de contredire ces assertions ; car la mythologie critique et la philologie comparée, auxquelles l’auteur fait appel, procédant par une méthode scientifique, ont réservé d’un commun accord les questions d’origine pour les dernières et les considèrent peut-être comme insolubles.

Il y’a plus de vraisemblance dans l’histoire que M. Wernicke nous présente, des modifications subies par l’idée de Dieu chez les Juifs : il nous la montre, toute grossière et anthropomorphique à l’origine s’épurant et s’idéalisant peu à peu, et devenant enfin digne d’être, pour l’humanité entière, le symbole de la divinité, Il passe de là au christianisme, dont la doctrine de la Trinité lui paraît le point central. Il attache à cette doctrine « souvent méprisée » un sens profond : selon lui, elle offre la conciliation du Dieu transcendant et du Dieu immanent, — par l’intermédiaire du Saint-Esprit, ou logos. Déjà les stoïciens avaient eu l’idée de ce Dieu immanent (qui se manifeste par la conscience morale) ; mais ils n’avaient pu trouver la conciliation. Aujourd’hui, elle est devenue inutile ; il n’y a qu’un seul Dieu, le Dieu immanent, qui nous ordonne par la voix de la conscience : Aime ton prochain comme toi-même. »

Que faut-il penser maintenant de la morale chrétienne ? Elle marque un grand progrès sur le vieux judaïsme, car elle n’est plus égoïste. Mais ce n’est point encore la morale parfaite ; car elle n’est pas parfaitement désintéressée. Elle promet des récompenses et des peines ; toute morale qui veut pousser l’homme au bien par ces motifs est une morale utilitaire. D’un autre côté, elle a eu le grand mérite de mettre la valeur morale des actions dans l’intention. Le christianisme a « fait son temps » (hat sich überlebt). Mais Christ reste une grande et belle figure, un modèle pour l’humanité. L’auteur est d’avis que les prédicateurs doivent non seulement citer ses paroles, mais aussi celles de Xénophane, de Socrate, de Platon, des Stoïciens, de Spinoza et de Kant. Cela vaudrait mieux, dit-il, que les généalogies d’Israël. « Un dévot zélateur disait dernièrement : Que deviendra l’Église, si le peuple n’y va plus ? » À quoi un prêtre libéral, qui était prêt à tout sacrifier Pour sa conviction, répondit : « Que deviendra le peuple, si les églises sont telles qu’on ne puisse plus y aller ? » Aujourd’hui, suivant l’auteur, il faut ou revenir au catholicisme, ou renoncer au christianisme. Mais qu’on n’espère pas trouver une position tenable, où l’on concilie l’esprit critique et la doctrine chrétienne, Pour lui, son choix est fait : il croit à la religion de