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selon des lois toutes fatales ? ou ce développement n’est-il que celui d’une activité libre, prenant conscience de ses lois et y obéissant dans la mesure où elle le veut ? Comment alors la conscience et la liberté de l’individu coopèrent-elles à ce qu’un tel développement renferme de nécessaire ?

Avant de répondre à ces questions, prenons un petit nombre d’exemples : Christophe Colomb et la découverte de l’Amérique, Newton et sa théorie de l’attraction universelle, Leibniz et sa théorie de la substance active, Léonard de Vinci et la Cène, Beethoven et quelques-unes de ses symphonies. Voilà certes de grands hommes, et voilà de grandes œuvres ! Il ne s’agit pas de les célébrer en termes dignes d’eux, mais de chercher si des documents authentiques peuvent nous éclairer sur leur manière de faire et leurs méthodes. En les examinant, nous serons heureux de pouvoir vérifier à l’occasion quelques-unes des vues que nous avons précédemment émises ; mais nous chercherons surtout de quoi répondre aux dernières questions que nous venons de nous poser.

II

C’est par suite d’une erreur heureuse que Christophe Colomb[1] a découvert l’Amérique. Voilà une phrase souvent répétée ; elle donnerait à croire aux ignorants qu’un des plus grands faits de l’histoire de l’humanité a été dû surtout au hasard. Est-ce là la vérité ?

Colomb naquit à une époque où une tendance générale entrainait beaucoup d’Européens, particulièrement de Génois, vers la navigation, le commerce lointain, l’émigration, et où d’autre part la géographie était en honneur, où l’on étudiait Ptolémée, Pline et Strabon, comme on allait étudier les philosophes, les poètes, les orateurs de la Grèce retrouvée. On avait déjà découvert des pays nouveaux, et les imaginations surexcitées en rêvaient d’autres. « Mille récits, dit Michelet, enflammaient la curiosité, la valeur et l’’avarice ; on voulait voir ces mystérieuses contrées où la nature avait prodigué les monstres, où elle avait semé l’or à la surface de la terre. » Ainsi deux

  1. La vie de Christophe Colomb a été racontée par des esprits très divers. Quelques-uns ont voulu rabaisser le mérite de son œuvre ; d’autres (comme Roselly de Lorgues) ont essayé de faire de lui un inspiré, un saint, un prophète à visions extatiques. Nous suivons ici de préférence à tous les autres un historien sérieux, instruit, positif et de sens rassis, l’Américain Washington Irving.