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grand génie, qui pendant tant d’années s’était tenu en suspens sur une loi qui ne lui avait pas semblé rigoureusement conforme à la nature, ne l’eut pas plus tôt reconnue pour véritable, qu’il en pénétra les conséquences les plus éloignées et les suivit toutes avec une force, une continuité, une hardiesse de pensées dont il ne s’était jamais vu, dont il ne se verra peut-être jamais d’exemples chez un mortel. »

Tel est le récit, fait avec une autorité indiscutée, de la plus grande découverte des sciences du monde. Newton a-t-il pensé à côté, comme un jeune auteur d’une théorie de l’invention prétend que fait en réalité tout spéculatif ? N’y a-t-il dans ses travaux aucune idée maîtresse, et vit-il en quelque sorte au jour le jour, se laissant conduire par les faits que ses contemporains ou lui découvrent sans les avoir ni pressentis ni cherchés ? Constatons d’abord deux choses : Newton a bien réellement tenu à réunir dans une même théorie des faits que la plupart de ses prédécesseurs étudiaient séparément ; puis ces théories enveloppant tout à la fois les mouvements du ciel et ceux de la terre, l’astronomie et la physique, il a voulu les démontrer. Non seulement il ne s’est point contenté, comme il le dit lui-même si fièrement, d’hypothèses (hypotheses non fingo) ; mais il avait une idée si haute du but qu’il poursuivait que, pendant de longues années, il a gardé dans le secret de son intelligence des découvertes partielles et des vues qui eussent fait la célébrité d’un savant moins ambitieux. Bref, une théorie universelle et une théorie dont les principes et les conséquences fussent démontrés, c’est là bien certainement ce qu’il a voulu. Contentons-nous actuellement de ces deux remarques, et poursuivons le reste de nos exemples.

On s’est demandé souvent à quelle époque Leibniz avait été en possession de sa théorie de la substance active. Si l’on voulait parler de sa théorie complète et achevée, la réponse n’était pas difficile. « J’ai changé et rechangé sur de nouvelles lumières, et ce n’est que depuis environ douze ans que je me trouve satisfait. » Voilà ce que Leibniz écrivait à Th. Burnet en 1697. C’est donc en 1685 qu’il s’était trouvé, comme il le dit, satisfait. Avait-il tant changé qu’il parait le dire, ou du moins les opinions qui s’étaient succédé dans son esprit n’avaient-elles eu que de faibles rapports, soit les unes avec les autres, soit avec la théorie à laquelle il devait aboutir en 1685 ? On sait aujourd’hui qu’il est arrivé à sa théorie par un grand nombre de voies différentes le conduisant toutes à un même but.

En 1671, méditant sur l’eucharistie et travaillant, comme il le dit, à la « démonstration de la possibilité de la présence réelle », il la trouve difficile à concilier avec la doctrine cartésienne, il entrevoit