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choses, sur la Providence divine, sur l’optimisme, sur la conciliation désirable et nécessaire des grandes philosophies, celle de Platon, celle d’Aristote[1], celle des scolastiques, celle des modernes. L’originalité de Leibniz est précisément d’être arrivé à son idée par des avenues nombreuses, très différentes, percées, pour ainsi dire, à travers toutes les sciences et toutes les parties de la philosophie. Mais, si cette idée de la monade active et indépendante se retrouvait ainsi devant lui dans tout ordre de travail, c’est que la première fois qu’il l’avait aperçue il en avait pressenti l’importance : elle fut donc l’idée capitale sous l’action de laquelle toutes ses autres idées tendaient à se rejoindre et à s’organiser en se prêtant un mutuel concours.

Mais Colomb, Newton, Leibniz étaient des hommes de science. La fantaisie de l’artiste n’est-elle pas plus libre et plus remplie d’imprévu ? L’artiste est libre sans doute, en ce sens qu’il n’est pas obligé de retrouver et de reproduire, comme fait le savant, l’ordre même de la nature ; mais il faut qu’il en ait un : il n’y a pas d’art poétique, pas de traité technique sur la musique ou la peinture qui ne débute par cette vérité fondamentale. Mais à tout ordre il faut un principe d’unité. Il est incontestable qu’ici l’artiste cherche en lui-même beaucoup plus que dans les faits de la nature externe. Et que prendra-t-il en lui ? Ce qu’il voudra, pourvu que son âme soit naturellement belle et ses sentiments contagieux par leur vivacité, leur délicatesse ou leur puissance ; mais, le choix fait, il faut qu’en lui tout s’y conforme, les idées secondaires, les sentiments et les moyens d’exécution[2].

Léonard de Vinci semble avoir été, et fut en effet, pour son temps, un homme universel ; mais Pic de La Mirandole en était un, lui aussi, et nous n’avons de lui aucune œuvre où nous puissions trouver du génie. C’est que chez Léonard, les connaissances, qui étaient encyclopédiques, et les plaisirs et les fantaisies les plus minutieuses se retournèrent bientôt, comme le dit et le prouve Ch. Blanc, vers l’art de la peinture. Mais, non content de cette préparation générale, qui devait faire profiter son art favori de la variété et de l’intensité de ses préoccupations et de ses idées, chacune de ses œuvres importantes, comme la statue équestre du duc Sforza, la Joconde, la Cène,

  1. Parce que la monade est à la fois l’idée de Platon, l’entéléchie d’Aristote, la forme substantielle des scolastiques, et que, grâce à l’harmonie préétablie, l’indépendance de la monade laisse subsister au-dessous d’elle tout le mécanisme cartésien.
  2. Nous eussions pu ajouter ici l’étude d’un homme d’action encore ; mais nous avons pensé que les exemples tirés de la vie et des campagnes de Napoléon revenaient assez souvent dans notre étude.