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H. JOLY. — psychologie des grands hommes

tion ne pouvait être intentionnelle, et qu’il y avait même contradiction à le supposer. Voici à peu près son raisonnement. Considérons d’abord qu’il y a dans toute recherche des tâtonnements et des lenteurs ; c’est un fait que nous sommes tenus d’expliquer. Or, de deux choses l’une : ou l’idée que nous appelons directrice est complètement déterminée par avance, ou bien elle est mêlée d’’incertitudes demandant à être dissipées, de lacunes demandant à être comblées. La première hypothèse est, dit-il, inadmissible ; car elle revient « à dire que, pour concevoir une chose, il faut l’avoir préconçue ; autant vaudrait nier la possibilité de l’invention. » C’est de plus aboutir à l’inexplicable et au mystère. Car cette idée directrice, d’où vient-elle ? D’une idée antérieure sans doute, dont elle est la reproduction et la copie. De copie en copie, on ramènerait toutes nos conceptions à une première conception renfermant notre vie intellectuelle tout entière et sortant elle-même on ne sait d’où… La seconde hypothèse, qui pose que, avant de se former des images bien nettes et bien précises, il faut s’en être fait une vague idée, paraît, ajoute l’auteur, plus acceptable dans la forme, « car il est certain que notre esprit va du moins parfait au plus parfait, de l’image indécise à l’image déterminée. Mais, dans ce cas, on voit clairement que l’image préconçue est l’ébauche et non le modèle de l’image définitive. Puisqu’il y a progrès dans la formation des images, tout ce qui fait l’originalité des dernières est sans précédent dans les premières, en sorte qu’aucun de ces perfectionnements successifs ne peut avoir été prémédité. »

Mais voici une analyse plus pressante encore par où l’on pense démontrer que l’idée de progrès intérieur et celle de préméditation sont absolument contradictoires. « Quand nous disposons intentionnellement la série de nos actions, la fin à laquelle nous tendons semble à la fois déterminée et déterminante par rapport à la série : déterminée, puisqu’elle en sera l’effet ; déterminante, puisqu’elle en est le motif. Mais il est évident qu’elle ne peut avoir le double caractère à un même point de vue : ce ne peut être la même chose qui se trouve au commencement et à la fin de la série. Ce qui est déterminé, c’est l’acte même ; ce qui est déterminant, c’est l’idée de cet acte. La finalité n’est donc pas la détermination de l’acte présent par l’acte futur, mais au contraire la détermination de l’acte futur par l’idée que nous en avons présentement. Il résulte de là que, si notre esprit se bornait à réaliser des intentions, il ne ferait pas un pas en avant. Penser intentionnellement, ce ne serait autre chose que conformer ses idées futures à ses idées actuelles, ou, autrement dit, se répéter. La supposition n’est même pas intelligible. On comprend qu’un acte matériel soit intentionnel, car alors la fin qu’on se pro-