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H. JOLY. — psychologie des grands hommes

puissance créatrice de ses facultés ? Il faut bien que chacun ait son caractère, le plus petit d’entre nous comme le plus grand ; et il est on ne peut plus vraisemblable que ce caractère soit en bonne partie le produit de l’hérédité. Mais ce n’est pas là la question ! Un critique savant et ingénieux[1] se croit autorisé à nous dire de Molière : « C’est de Marie Cressé que Molière tenait son esprit élevé, ses habitudes somptueuses et simples à la fois, sa santé délicate, son attrait pour la campagne hors de Paris ; et désormais la mère de Molière, restée inconnue jusqu’à ce jour, aura sa place marquée dans les commencements de la vie de son premier-né. » On ajoute que dans le peu de livres que possédait cette femme distinguée se trouvaient Plutarque et la Bible ; ce qui permettra de mettre une note piquante au bas du vers connu.

Et hors un gros Plutarque à mettre mes rabas.

On dit enfin que le grand-père maternel et subrogé-tuteur de Molière aimait la comédie et y conduisait son petit-fils. Tout cela est, fort intéressant ; mais rien de tout cela n’explique, dira-t-on, comment Molière est un auteur comique de premier ordre, au lieu d’être un honnête comique du second ou du troisième rang. Car enfin, il eût pu tenir de Marie Cressé son amour pour la campagne, ses goûts simples et somptueux… et ne faire que d’honorables comédies, au lieu de composer Tartuffe et le Misanthrope. Nous en dirons autant de Gœthe, dont le tempérament tenait, comme il le dit lui-même, le milieu entre celui de son père, homme laborieux, pratique, chercheur persévérant, méthodique et régulier, mais exigeant, minutieux, sans souplesse et sans gaieté, et celui de sa mère, caractère bienveillant, accommodant, expansif, agréable, excellant à inventer des récits fantastiques, d’une imagination vive et abondante, mais fuyant les émotions pénibles et ne voulant même pas qu’on lui apprit de fâcheuses nouvelles. Voilà bien, si l’on veut, le tempérament de Gœthe expliqué. Son génie l’est-il ?

On s’approche plus de la question, sans qu’il soit prouvé cependant qu’on la résolve, quand on veut expliquer le succès d’un grand homme par une sorte de fusion entre les diverses qualités et entre les qualités et les défauts d’où son caractère est sorti. C’est surtout quand il s’agit de personnages politiques, d’orateurs, de guerriers ou d’hommes d’Etat, que ce mode d’explication parait tentant. Si Napoléon Ier, dira-t-on, n’avait eu que le tempérament de sa mère, sa tendresse sévère, son âme énergique et sérieuse, sa fierté superbe

  1. M. Eudore Soulié.