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H. JOLY. — psychologie des grands hommes

pression dont on était en peine et fait apparaître la forme définitive de l’idée. L’inspiration apporte donc beaucoup plutôt le soulagement et la paix, la paix de l’acte, entendons-nous bien, au sens aristotélique. Cette paix, en effet, ce n’est pas la cessation de l’action ; c’est la plénitude de l’action, qui désormais, se sentant apte à créer, va droit à son but, sûre d’elle-même, sans efforts inutiles, avec une puissance dont rien ne se perd, une énergie dont aucune parcelle n’est égarée.

Quand l’inspiration ou, ce qui revient au même, l’idée créatrice apparaît comme le fiat dans le chaos des autres idées, cette apparition a toujours un caractère de soudaineté surprenante. Le changement qu’elle opère est considérable. C’était la confusion ; et tout à coup la perspective est fixée : tout s’éclaircit et tout s’ordonne, quoique tout s’élargisse. La disproportion entre ce qui était et ce qui est paraît énorme. Il n’est donc pas étonnant que quelquefois le grand homme lui-même, devant ce que lui révèle sa propre idée, soit étonné et ravi, comme si elle lui arrivait de quelque puissance supérieure. Mais ce qui domine alors en lui, ce n’est pas la fièvre, toujours impuissante, ni la contemplation stérile de l’extase ; c’est une vision parfaitement lucide et une volonté parfaitement décidée, parce qu’elle se sent enfin toute armée pour une action prompte et efficace.

Toute inspiration apporte donc avec elle une de ces idées dominantes qui, d’un grand nombre d’autres idées, font un organisme gracieux ou puissant. Mais d’où sort cette idée ? Ce ne peut être évidemment d’une sphère étrangère aux autres idées de l’individu (une telle hypothèse serait non seulement incompréhensible, mais absurde). Il faut donc que ce soit du fonds même de sa propre intelligence. Mais, quoique tout le monde ait des idées, plus ou moins, tout le monde n’a pas d’inspiration. Essayons de démêler à quelles conditions une intelligence est capable d’en avoir ou d’en recevoir,

Nous croyons, quant à nous, qu’on en peut indiquer trois.

Tout d’abord, chez l’homme ainsi élu, les idées même de détail prennent un caractère particulier où se sentent ses aptitudes et sa vocation spéciale. L’artiste ne regarde pas la nature comme un autre homme. Il faut qu’il trouve une expression à ce qu’il voit, à ce qu’il entend. Mais le plus souvent il n’y trouve que ce qu’il y met. C’est dire que son esprit toujours actif cherche dans ses sensations et dans ses images des occasions de se représenter sous des formes brillantes les états divers de son âme, et que ces états enveloppent tous un secret besoin de se produire et de se communiquer. Le savant à lui aussi sa manière de voir le fait : il y voit une conséquence, donc