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un signe de quelque loi de la nature, et ce signe il faut qu’il le comprenne. L’homme d’action y voit une force à discipliner et à faire travailler à quelque dessein conçu par lui. Bref, chez l’un et chez l’autre, toute idée possède à quelque degré une vertu intrinsèque, vertu active s’il en fut, qui paraît la destiner à un mode de vie supérieur à la vie commune et vulgaire, et lui donne une valeur indépendante des satisfactions banales cherchées machinalement par la foule.

L’homme prédestiné à l’inspiration devra se reconnaître encore à ce fait, qu’il se contente rarement de l’idée actuelle et présente, et qu’il veut à tout prix lui trouver une place parmi ses souvenirs et ses prévisions. C’est dire qu’il cherche toujours, et ne se sent heureux que lorsqu’il a trouvé, ce point de vue dominateur sous lequel il embrasse et retient beaucoup à la fois. Un comique de race n’entend pas un bon mot sans imaginer toute une scène. Un général inspiré ne verra pas commettre une faute à son ennemi sans chercher aussitôt tous les moyens de l’y enfoncer jusqu’au bout. Un savant ne verra pas un fait sans essayer de le classer ; si aucun ensemble n’est prêt à le recevoir, il voudra lui en faire un avec d’autres faits, et, si les faits connus ne lui suffisent pas, il commencera par en imaginer. Ce qu’on appelle l’idée intuitive n’apparaît jamais que dans l’esprit d’un homme qui cherche, qui est en éveil, qui se pose à chaque instant des questions, chez qui les connaissances antérieures, bien ordonnées, ont multiplié les chances d’association et d’appel qui doivent lui faire trouver, avec une apparente soudaineté, d’autres idées.

Enfin l’inspiration véritable exige une volonté prête, elle aussi, en toute circonstance, à tirer parti de ses idées. Comme Léonard de Vinci a toujours le crayon dans la main pour saisir au vol un trait qu’il esquisse et qui, redressé ou complété, trouvera un jour ou l’autre sa place en un tableau, comme Newton est toujours prêt à taire un calcul et Claude Bernard toujours prêt à instituer une expérience pour vérifier une hypothèse[1] : ainsi Annibal, César, Napoléon ne laissent jamais passer une occasion ; car ils se sont préparés pour toutes celles qu’ils jugeaient probables ou même possibles, mais

  1. L’idée intuitive veut toujours être vérifiée. Quelquefois la vérification se fait très vite, soit parce que la preuve se trouve par hasard à la portée du savant, soit plutôt parce que les faits recueillis de longue main s’adaptent tous à l’idée. Alors l’ensemble de la découverte prend un caractère de promptitude qui lui donne une apparence très saillante d’intuition soudaine et irréfléchie. D’autres fois, la vérification est plus longue, parce que le problème est plus compliqué, que toutes les données n’en sont pas encore aussi claires, que la solution n’en est donc pas aussi préparée par les découvertes anté-