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LES ÉTUDES SOCIOLOGIQUES EN FRANCE[1]

(3e article.)

III

Si un libéral osait dire en France, dans une assemblée politique quelconque, que la Déclaration des droits de l’homme, toute la « religion révolutionnaire » n’est qu’un immense postulat, il soulèverait une indignation générale et serait considéré comme un renégat. Cela n’impliquerait cependant en aucune manière une renonciation de la politique libérale. Il faut distinguer entre la croyance et la science, la pratique et la spéculation. Dans l’ensemble de nos idées, le nombre de celles qui sont strictement conformes aux conditions de la certitude scientifique est beaucoup plus petit qu’on ne le croit d’ordinaire. Supposez que nous retranchions en une fois de notre esprit toutes les affirmations plus ou moins explicites qui s’y trouvent sans le congé formel, je ne dis pas de la raison raisonnante (et encore que d’opinions auxquelles elle est étrangère !), mais de la stricte méthode des sciences d’observation, ne voyez-vous pas combien cette épuration nous laissera dépourvus ? L’artisan dans son atelier, le cultivateur et l’éleveur dans sa ferme, le médecin au chevet du malade, admettent pour la pratique une multitude de postulats dont ils se trouvent bien et s’en réfèrent constamment aux enseignements de la tradition. Ils ne rejettent pas pour cela les procédés éprouvés par la science ; mais ils savent qu’ils ne peuvent s’en rapporter exclusivement à elle, vu la lenteur inévitable de ses progrès. On pourrait donc croire que la liberté est bonne, parce qu’on l’a éprouvé, tout en se disant que cela n’est pas démontré, comme le médecin combat certaines fièvres virulentes avec des purgations, sans se fonder sur une théorie scientifique ni sans être sûr du succès.

Mais nous réclamons pour la politique libérale une situation meilleure encore au point de vue de la science. Au lieu d’y voir un dogme à priori, sans autre fondement qu’une croyance métaphysique, ou bien un postulat de la pratique que les prédilections des

  1. Voir le numéro précédent.